Le Gui, une plante parasite au cycle de vie original
Nul n'ignore le gui, dont les boules vertes ornent les branches des arbres et les maisons au moment des fêtes de fin d'année. C'est pourtant l'une des plantes terrestres les plus étranges, à la fois par sa morphologie et sa biologie. Ceci explique sans doute la vénération des pré-scientifiques à son égard depuis l'antiquité qui expliquent par des mythes ce que les savants appellent des exceptions à la vie végétale.
Un arbrisseau en boule
Un an après sa germination, le petit gui possède une tige courte munie de deux feuilles surmontées de plusieurs bourgeons axillaires. La deuxième année, généralement, deux bourgeons axillaires opposés se développent (le bourgeon terminal avorte), donnant naissance à deux nouveaux rameaux, eux-même terminés par une paire de feuilles. Ce phénomène de ramification dichotomique se poursuit la troisième année et ainsi de suite, si bien que pour connaître l'âge d'un rameau de gui, il suffit de compter le nombre d'articles le long de celui-ci.
Les années suivantes, des rameaux supplémentaires (généralement 4) apparaissent aux bifurcations des années précédentes, accentuant le port en boule initié par la ramification dichotomique. Ces boules de gui peuvent atteindre 1 m de diamètre. Les rameaux sont cassants et se brisent aisément aux nœuds.
Des feuilles sans pétiole, à nervation parallèle et toujours vertes
Les feuilles sont non dentées, légèrement charnues, ovales-oblongues, spatulées, et le limbe est progressivement atténué à la base ce qui fait qu'il n'y a pas de véritable pétiole. Elles possèdent 5-6 nervures parallèles nervation rare chez les Dicotylédones, alors qu'elle est très fréquente chez les Monocotylédones. Elles ont une durée de vie de un an et demi et tombent une à une ce qui fait que le végétal est toujours vert, caractéristique le signalant de loin en hiver alors que les hôtes feuillus sont défoliés.
Des fleurs mâles et femelles très discrètes sur des pieds différents
Les fleurs mâles et femelles du gui sont portées sur des touffes différentes (le gui est une plante dioïque) se développant sur le même arbre ou sur des arbres différents. Cette répartition des sexes, la dioécie, rare, n'est représentée que chez quelques genres : l'Ortie (Urtica), la Bryone (Bryonia), le Compagnon blanc (Silene latifolia) et quelques familles de plantes (Salicacées).
Les fleurs apparaissent en mars avril, groupées par 3 au niveau des nœuds, entre les feuilles. Elles sont jaunes, discrètes et simplifiées :
- Les fleurs mâles sont constituées de 4 tépales charnus à chacun desquels est soudée une drôle d'étamine : pas de filet mais seulement une anthère percée de nombreux pores libérant le pollen.
- Les fleurs femelles sont formées de 2 carpelles soudés en un ovaire infère portant 4 tépales au sommet, contenant un ovule orthotrope, réduit au sac embryonnaire.
Les fleurs, déjà formées à l'automne, passent l'hiver fermées et s'ouvrent aux premiers rayons du soleil. Les abeilles, les bourdons et les mouches, attirés par le nectar qui suinte à la base des tépales, en assurent la pollinisation.
Des baies blanches hivernales
La fleur femelle fécondée se transforme en une baie, d'abord verte en été, qui devient blanche et translucide en décembre (P. Déom l'appelle avec humour la "baie vitrée"). A son sommet, 5 petits points noirs, disposés comme ceux d'un 5 de dé à jouer, qui sont les cicatrices des quatre tépales et du stigmate central. Cette couleur blanche est unique chez nos baies indigènes. Il n'y a que la Symphorine (Symphoricarpos, Caprifoliacées), arbrisseau ornemental exotique, qui possède également des baies blanches.
Lorsqu'on presse entre les doigts une baie de gui, il en sort une graine verte entourée d'une substance visqueuse, la viscine. On pourra l'étirer à loisir entre les doigts pour bien observer les filaments blancs gluants. Plus précisément, la baie comporte :
- un épicarpe, correspondant à l'enveloppe translucide externe ;
- un mésocarpe charnu (la viscine) transparent, visqueux, très collant, qui a fait longtemps la célébrité du gui : c'est avec cette viscine que l'on fabriquait jadis la glu pour attraper les oiseaux ;
- un endocarpe étroitement appliqué à la surface de la graine.
- une graine chlorophyllienne, constituée d'une (souvent 2 parfois 4) embryon(s) entouré(s) d'un albumen. Chaque embryon est formé de deux cotylédons, d'un méristème caulinaire, suivi d un hypocotyle renflé, tenant lieu de radicule
Dans les pays nordiques et germaniques, c'est la racine mistel qui sert à le nommer : anglais misteltoe, allemand mistel, danois mistelten, finnois misteli, suédois mistel.
Une plantule qui fuit la lumière, se colle contre l'hôte et perfore l'écorce
En mars-avril de l'année suivante, les graines, collées aux branches par la viscine qui les entoure, vont germer. Un organe cylindrique vert, l'hypocotyle, terminé par un renflement rond émerge, puis progressivement (en plusieurs semaines) se recourbe et se dirige vers le support. Ce mouvement de courbure de l'hypocotyle est indépendant de l'hôte vivant, le gui étant capable de germer sur du papier filtre ou du verre, et s'opère en sens inverse de la lumière : il s'agit d'un phototropisme négatif. C'est encore une particularité du gui, puisque chez la plupart des plantes, la jeune tige qui sort de la graine se dirige au contraire en direction de la lumière, par un phototropisme positif.
Dès que le contact est établi, la petite tête ronde de l'hypocotyle s'élargit et se transforme en cône de fixation. La plantule de gui, alors solidement fixée à la surface de l'hôte par deux endroits : au niveau de la graine, grâce à la viscine, et au niveau du disque adhésif de l'hypocotyle. Dès lors, le gui a terminé sa vie libre, on est en juillet.
Un système de pompage de la sève brute constitué de suçoirs
Durant les mois suivants, on voit les cotylédons de la plantule se ratatiner : les réserves de l'albumen sont utilisées par les cellules méristématiques du méristème terminal situé à l'extrémité du cône. En proliférant, les cellules méristématiques exercent une pression mécanique sur les tissus de l'hôte, si bien que le cône fonctionne comme un véritable "clou végétal" qui perfore l'écorce de l'hôte et pénètre dans ses tissus jusqu'au niveau de la couche de bois vivant (xylème II). Une action chimique assurée par la sécrétion d'enzymes hydrolytiques par le cône favorise également sa pénétration. Cette opération a pris plusieurs mois, on est maintenant en hiver, les cotylédons sont tombés et la plantule est alors réduite à un moignon de 5-6 mm de long.
En profondeur cependant, le cône, devenu un suçoir primaire, produit tangentiellement des cordons corticaux qui vont s'insinuer sous l'écorce et vont eux même produire des suçoirs secondaires se développant radialement comme le suçoir primaire. Suçoir primaire et suçoirs secondaires vont alors atteindre le xylème II et y puiser l'eau et les sels minéraux qui constituent la sève brute. Ils ont développé dans leurs tissus des vaisseaux de xylème qui vont conduire la sève (directement pour le suçoir primaire, en passant par les cordons corticaux pour les suçoirs secondaires) jusqu'à la jeune tige de la plantule. L'ensemble formé par le suçoir primaire, les cordons corticaux et les suçoirs secondaires, constitue le système de pompage de la sève brute du gui ou appareil haustorial du gui. Contrairement à d'autres plantes parasites comme la cuscute, l'appareil haustorial du gui est très condensé.
Une fois que le système de pompage de la sève brute est installé, celui-ci va grandir en suivant la croissance en épaisseur de la branche hôte. Et, chose extraordinaire, les suçoirs vont rester au contact de la couche fonctionnelle de bois sans être écrasés par la mise en place des nouvelles couches (cernes) de bois qui s'élaborent année après année à l'extérieur des couches des années précédentes à partir de la zone génératrice libéro-ligneuse (cambium). En effet, les suçoirs de gui possèdent en plus de la zone méristématique terminale citée précédemment, une zone méristématique intercalaire qui se situe exactement dans le prolongement du cambium et dont le rythme d'activité est synchrone à celui du cambium si bien que les suçoirs, qui présentent une croissance "à reculons" au rythme de la croissance de la branche hôte, ne sont pas écrasés.
Les premières feuilles arrivent
Une année s'est écoulée depuis la germination de la graine de gui. On est au printemps et enfin deux premières feuilles se développent au sommet du moignon de plantule. L'année suivante, il se formera deux tiges (à l'aisselle des deux premières feuilles) terminées chacune par deux feuilles et ainsi de suite chaque nouvelle année. Quatre à cinq années plus tard, le gui produira des fleurs puis des baies qui seront disséminées, engendrant à leur tour de nouveaux pieds de gui.
Remerciements
Les auteurs remercient chaleureusement Louis Girard pour leur avoir fourni certains clichés qui illustrent cet article. Louis Girard a été responsable du secteur de biologie animale au sein de la préparation à l'Agrégation SV-STU de l'ENS de Lyon de 1989 à 1991.
Pour en savoir plus
- DEOM Pierre, "Monsieur Viscoglu", La hulotte n° 48-49, 1982.
- FOURNIER, Les quatre flores de France, Lechevalier, 1961.
- LIEUTAGHI Pierre, Le livre des arbres, arbustes et arbrisseaux, Robert Morel, 1969.
- NIERHAUS-WUNDERWALD D. & P. LAWRENZ (Traduction M. DOUSSE), Biologie du gui, Bibliothèque FNP, 1997. Lien où télécharger l'article ici
- RAMEAU J.C., MANSION D., DUME G., Flore forestière française, Vol. 1, ONF, 1989.
- SALLE Georges, Le parasitisme chez les végétaux, Diathèque Sciences de la nature, CNDP.
- SALLE Georges, FROCHOT Henri, ANDARY Claude, "Le gui", La recherche 260 décembre 1993.
- TESITEL J., L. PLAVCOVA & D.D. CAMERON. (2010) Interactions between hemiparasitic plants and their hosts. The importance of organic carbon transfer. Plant signaling & behaviour, 5:9, 1072-1076.
Régis Thomas, David Busti et Margarethe Maillart, novembre 2011.
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