Le Genévrier de Phénicie parmi les genévriers de France
Qui ne connaît pas le Genévrier commun (Juniperus communis), un buisson des landes sèches et ensoleillées, aux feuilles tellement piquantes qu’il est bien difficile de saisir un rameau à pleine main, dont on retrouve les petites « baies » bleuâtres dans la choucroute et qui sert à l’élaboration d’alcools blancs comme le gin, le genièvre ou l’aquavit ?
Ce genévrier est bien nommé puisque Juniperus vient du celte et signifie « buisson âpre », allusion au goût des « baies » et au piquant des feuilles. Le terme communis est également bien choisi puisque cette plante pousse à l’état sauvage des deux côtés de l’Atlantique et son aire s’étend jusqu’au Pacifique en passant par l’Amérique du nord ou la Sibérie : c’est ainsi l'aire de répartition la plus étendue pour un Conifère !
Tous les genévriers possèdent des « baies » et un bois odorant sans canaux résinifères
Les genévriers sont des gymnospermes appartenant à la famille des Cupressacées. Il en existe 60 espèces réparties dans l'hémisphère Nord, jusqu'en arctique.
Trois caractères permettent de distinguer les genévriers (espèces du genre Juniperus) des autres Gymnospermes :
1) Les genévriers possèdent des « baies » ou « fruits », bleuâtres ou rougeâtres, qui sont en réalité des cônes ligneux charnus. Les termes de « baie » et de « fruit » sont tout à fait incorrects puisqu’une baie est un fruit charnu, que le fruit provient d’un ovaire et que l’ovaire (organe clos contenant les ovules) n’existe que chez les Angiospermes. En réalité, les genévriers possèdent, comme toutes les Gymnospermes, des ovules nus. Mais alors, quelle est l’origine de ces « baies de genièvre » appelées plus exactement galbules ? Ce sont des cônes très particuliers, dont la partie charnue provient du développement et de la soudure secondaire d’écailles enveloppant les ovules (il y a trois ovules et trois graines chez le Genévrier commun).
2) Les genévriers possèdent également un bois très odorant mais dépourvu de canaux résinifères. Les oléorésines responsables de cette odeur aromatique sont localisées dans le parenchyme longitudinal.
3) Les genévriers français sont dioïques (les cônes mâles et femelles sont portés par des pieds différents), à l'exception du Genévrier de Phénicie et du Genévrier sabine, lesquels sont généralement monoïques (les cônes mâles et femelles sont portés par le même pied) et assez rarement dioïques (voir à ce sujet l'article Plasticité sexuelle des Genévriers de Phénicie des gorges de l’Ardèche, à paraître prochainement).
Notons enfin que, parmi les Gymnospermes, seul l'If partage certains de ces caractères avec les Genévriers (dioécie, bois dépourvu de canaux résinifères) mais il s'en distingue aisément par son arille, un cône contenant une graine unique entourée d'une enveloppe charnue rouge vif.
Reconnaître le Genévrier de Phénicie parmi les six espèces de genévrier de France
Parmi les six espèces de genévrier français, le Genévrier commun (J. communis) est l'espèce la plus répandue, deux espèces sont montagnardes (J. sibirica et J. sabina) et trois espèces sont méditerranéennes (J. oxycedrus, J. thurifera et J. phœnicea).
Les genévriers sont généralement des espèces pionnières se développant dans des situations écologiques extrêmes, mais seuls les Genévriers de Phénicie (J. phœnicea) et thurifère (J. thurifera) sont susceptibles de constituer des systèmes forestiers significatifs représentant parfois la végétation potentielle.
Selon la région où l'on habite, il est possible de confondre certaines espèces de genévrier. Le tableau ci-dessous, qui fait appel à des caractères morphologiques, écologiques et de répartition, permet de différencier le Genévrier de Phénicie des autres espèces.
La valeur taxinomique précise de ces 6 espèces est encore débattue. C’est pourquoi en toute rigueur on parlera du groupe communis, oxycedrus, thurifera ou phœnicea. Dans chacun de ces groupes, la terminologie et la limite entre « espèces » varient suivant les auteurs. Les critères biochimiques et génétiques ont toutefois apporté ces dernières années d’intéressantes précisions taxinomiques :
- Dans le groupe communis, on distingue trois taxons : J. communis subsp. communis, J. communis subsp. hemispherica et J. communis subsp. nana. On fait bien souvent de ce dernier taxon une espèce séparée : J. sibirica.
- Dans le groupe phœnicea, on distingue également trois taxons : J. phœnicea, J. turbinata subsp. turbinate et J. turbinatea subsp. canariensis.
- Dans le groupe oxycedrus, on distingue encore trois taxons : J. oxycedrus, J. macrocarpa et J. navicularis.
- Dans le groupe thurifera, il y a deux taxons seulement : J. thurifera subsp. thurifera (avec trois variétés : thurifera en espagne, gallica en france continentale et corsica en Corse) et J. thurifera subsp. africana.
Le Genévrier commun : Juniperus communis
C'est un végétal dressé mais à port très variable : allant de celui d’un buisson touffu étalé et irrégulier à celui d’un arbuste élancé de quelques mètres à port conique.
Il exige beaucoup de lumière mais il est indifférent à la nature du sol : calcaire ou siliceux, sec ou humide. Cette particularité jointe au fait qu’il est extrêmement résistant au froid et à la sécheresse explique sa vaste répartition en latitude et altitude. C’est par excellence l’arbrisseau pionnier des friches, des pâtures sèches (ses feuilles acérées le protègent des herbivores) , l’envahisseur des landes parfois humides, des maquis dont la présence révèle souvent l’existence d’une dynamique progressive de la végétation, bloquée un temps par le pâturage des moutons.
Il est commun partout en France, sauf en Bretagne, le nord-est et la région des Landes. Il se rencontre notamment dans la région méditerranéenne et il faudra donc le différencier du Genévrier oxycèdre auquel il peut se mêler. Il monte jusqu’à 1800-2000 m en montagne, où il prend une allure prostrée qui peut le faire confondre avec le Genévrier nain.
Le Genévrier nain : Juniperus siberica (= Juniperus communis subsp. nana)
C'est une espèce voisine du Genévrier commun qu’il remplace en Montagne entre 1600 et 3600 m. Si son port couché peut le faire confondre avec les individus prostrés de genévrier commun, ses aiguilles plus larges et courbées vers le rameau lèvent toute ambiguité.
Sa position botanique est encore discutée. Soit il est considéré comme la sous-espèce nana de Juniperus communis, soit il est élevé au rang d'espèce véritable : Juniperus sibirica. Cette dernière est la position plus communément adoptée aujourd’hui.
Le Genévrier oxycèdre ou Cade : Juniperus oxycedrus
C'est le taxon méditerranéen le plus commun et le plus étendu : totalité du Maghreb, Espagne, France, Italie, Grèce, Asie mineure et proche orient.
C’est un bel arbrisseau ou arbuste glauque au port s’arrondissant avec l’âge, aux rameaux souvent pleureurs avec de gros « fruits » couleur de terre cuite qui font à la fin de l’année le régal (et le malheur) des grives. On le distinguera sans problème à la fois du Genévrier commun, grâce à ses aiguilles striés de deux bandes blanches et de son cousin méditerranéen le Genévrier de Phénicie qui lui possède des feuilles en écailles.
Sensible au froid, il se trouve dans les stations arides et ensoleillées, plutôt sur calcaire, mais il supporte les sols siliceux. C'est un élément important de la strate arbustive méditerranéenne. Bien que l’on ait envisagé pour lui l’existence d’une série de végétation particulière, il est sans doute plus sage de le rattacher à la série mésoméditerranéenne du chêne vert. Il est disséminé dans les pelouses, garrigues, et sous-bois clairs de chêne vert et pubescent qu’il accompagne jusqu’à 1200 m, dans la Drôme en Ardèche et dans les Alpes du sud.
Le Genévrier de Phénicie ou Mourven des provençaux : Juniperus phœnicea
C’est le deuxième genévrier méditerranéen qui se distingue immédiatement de son cousin, le Cade, par ses innombrables ramules couverts de feuilles en écaille minuscules. Son aire de répartition est également moins étendue.
Très xérophile, il affectionne les garrigues les plus pauvres, les fissures des rochers et même les falaises calcaires où ses boules rouge brique défient l’ensoleillement le plus fou et l’aridité quasi absolue (étage thermoméditerranéen). Voyez à ce sujet l'article de Jean-Paul Mandin Les Genévriers de Phénicie des Gorges de l’Ardèche : des arbres adaptés à des conditions de vie extrême à paraître prochainement sur notre site.
Le Genévrier thurifère : Juniperus thurifera
Le Genévrier thurifère constitua un élément majeur des forêts présteppiques à genévrier qui connaîtront leur optimum lors du tardiglaciaire entre 14000 et 12000 BP. L’amélioration climatique postglaciaire puis la pression anthropique vont morceler son aire pour aboutir à la situation actuelle : aire assez étendue au Maghreb, étendue mais morcelée en Espagne, très morcelée en France avec une préférence pour les montagnes des Alpes du sud donc pour l’étage oroméditerranéen.
Le Genévrier sabine : Juniperus sabina
Le Genévrier sabine est le deuxième genévrier de haute montagne. Il croît dans les Alpes et les Pyrénées de 1400 à 2300 m où il demeure rare. Il est absent du Massif central et de la Corse.
C’est un arbrisseau couché à longues branches redressées à leur extrémité, bien distinct cependant du genévrier nain par ses feuilles en écailles à odeur désagréable au froissement. Il forme de larges plaques vertes sur les pelouses de l’étage subalpin dans les rocailles et les bois clairs. Attention il est très toxique ! 6 gouttes de son essence, produite après distillation, peuvent tuer un homme.
Les usages des « baies » de genévrier
Le Genévrier commun a eu des siècles de gloire comme plante médicinale et une place enviable parmi les simples. Il était utilisé comme tonique, antiseptique et dépuratif. Les « baies » matures, d’abord douces au palais, procurent rapidement un arrière goût résineux et âpre qui persiste longtemps en bouche. Lieutaghi dit qu’on faisait pourtant confire ces « baies » au sucre et, devenues friandises, elles étaient ces « dragées de Saint-Roch » dont on mangeait trois ou quatre après le repas « pour aider à la digestion ». En Allemagne et dans les Alpes du sud françaises, on en préparait après concentration de leur suc, un extrait qui passait pour posséder de grandes vertus.
Actuellement les « baies » sont essentiellement utilisées comme condiments :
- Elles servent à aromatiser la choucroute (nulle choucroute digne de ce nom ne saurait s’en passer !) et certains charcutiers en aromatisent également leurs pâtés.
- Plusieurs alcools blancs ont pour esprit le genévrier. Le gin anglais, le genièvre de l’est de la France sont le produit d’une redistillation d’une eau de vie de grains où l’on a fait macérer des « baies ».
- Enfin, avec Lieutaghi, il faut célébrer la grive « au genièvre » telle qu’on l’attend dès novembre dans la région de Forcalquier, simplement préparée sur canapé où l’on étale les entrailles pleines de baies bleues du genièvre et des baies rouges du cade.
Les usages du bois de genévrier
Le bois des genévriers est dur, compact, imputrescible et surtout aromatique.
La pyrogénation en vase clos du bois du Genévrier oxycèdre donne l’huile de cade, produit sombre, goudronneux d’odeur très forte, utilisé en particulier dans des préparations pour les maladies de peau. Elle entre aujourd’hui également dans la composition de quelques shampoings du commerce. Cette huile est aussi utilisée en usage vétérinaire (antiseptique) et sur les chiennes en chaleur pour éviter l'arrivée des males ! On trouve encore dans les garrigues de Provence d’anciens fours à cade rappelant l’époque où cette huile était produite directement dans les champs. Ce sont de grands fours cylindriques en pierre, le bois y était lentement consumé et on récupérait l’huile dans la partie basse du four. Leur utilisation a cessé après la seconde guerre mondiale, supplantés par les distilleries modernes.
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