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Le Robert-le-diable et ses plantes hôtes

Auteur et publication : Jean-Pierre Moussus
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Robert-le-diable (Polygonia c-album).
L’espèce est aisément identifiable à ses ailes très découpées et à sa robe orange vif ponctuée de noir. (Rhône, mars 2012)

 
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Robert-le-diable (Polygonia c-album).
Le nom scientifique de l’espèce provient du petit « c blanc » visible au revers de ses ailes postérieures. (Rhône, mars 2012)

 
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Robert-le-diable (Polygonia c-album), mâle surveillant son territoire.
Tout intrus est pourchassé hors de ce territoire. (Rhône, mars 2012)

 
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Robert-le-diable (Polygonia c-album) en train de se nourrir sur une inflorescence mâle de Saule marsault (Salix caprea).
Le papillon cherche le nectar dans les petits nectaires qui se trouvent à la base des étamines. Le Saule marsault peut aussi servir de plante hôte à l’espèce. (Rhône, mars 2012)

 
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Le Robert-le-diable (Polygonia c-album) est un papillon très répandu et abondant. Son aire de distribution s’étend de l’Europe de l’Ouest au Japon et du nord du continent africain jusqu’au sud de la Scandinavie. Avec le Paon du Jour (Inachis io), le Vulcain (Vanessa atalanta) et quelques autres, c’est l’un des premiers papillons à apparaître au printemps. Ses ailes extrêmement découpées ainsi que les motifs qu’elles arborent le rangent parmi les Nymphalidés et plus précisément avec les Vanesses. L’étendue de son aire de distribution ainsi que son abondance en ont fait un modèle d’étude des relations entre les insectes et leurs plantes hôtes. En effet, et cela est d’autant plus vrai chez les Lépidoptères, les femelles ne pondent leurs œufs que sur un petit nombre d’espèces de plantes sur lesquelles les chenilles se développeront plus tard. Cette spécificité variable d’une espèce à l’autre pose de nombreuses questions d’ordre écologique et évolutif.

La première est celle du rôle de cette interaction plante-insecte dans les processus de spéciation et de coévolution. Il est en effet intéressant de constater que chez les insectes, les taxons phytophages comptent plus d’espèces que les autres. Alors que des études anciennes suggèrent un déterminisme génétique du choix des plantes hôtes porté par le chromosome X (chez les Lépidoptères, ce sont les femelles qui sont hétérogamétiques, le chromosome X étant toujours apporté par le mâle), JANZ et ses collaborateurs ont mené des expériences très concluantes en utilisant deux populations de Robert-le-diable. Les Robert-le-diable femelles pondent en général leurs œufs sur des Orties dioïques (Urtica dioica), des Ormes de montagne (Ulmus glabra), des plants de Houblon (Humulus lupulus) et, dans une moindre mesure, sur des Saules marsault (Salix caprea) et des Bouleaux verruqueux (Betula pendula). Partant du constat que les Robert-le-diable britanniques montrent une spécificité plus importante que les Robert-le-diable suédois pour l’Ortie dioïque, les auteurs ont étudié les préférences de ponte de femelles issues de croisements entre individus de ces deux populations. Les résultats sont très clairs : les femelles issues de croisements entre un mâle anglais et une femelle suédoise choisissent de pondre dans 98% des cas sur l’Ortie dioïque alors que les femelles de père suédois choisissent l’Ortie dioïque dans seulement 80% des cas. Cette étude montre donc un déterminisme génétique de la préférence vis-à-vis des plantes hôtes à l’intérieur même d’une espèce. Cette différence comportementale déterminée génétiquement pourrait jouer un rôle dans un processus de spéciation. En effet, si les phénologies (c'est-à-dire le positionnement dans le temps) des cycles des différentes plantes hôtes ne sont pas synchrones, alors les différences de préférence des insectes peuvent se traduire par un isolement reproducteur et conduire à la divergence de populations d’une même espèce.

La sélection naturelle peut d’ailleurs contribuer à la différenciation des comportements d’oviposition. Ainsi, en Angleterre, les Robert-le-diable sont bivoltins, c'est-à-dire qu’ils forment deux générations par an (la première naissant de chenilles ayant passé l’hiver en diapause, la seconde de la reproduction des individus de la première). Ce cycle de développement favorise les individus pondant sur des plantes dont le développement est rapide puisque leurs larves devenues adultes ont le temps de se reproduire. Les populations du sud de la Suède sont univoltines (elles ne produisent qu’une seule génération par an) si bien que les contraintes liées à la rapidité du développement des plantes hôtes sont moins fortes. Ceci pourrait expliquer le spectre plus large de plantes hôtes au sein de ces populations scandinaves.

Le second type de question que pose cette interaction interspécifique est celle de la relation entre la distribution d’un insecte et celle de ses plantes hôtes. Il se trouve qu’ici encore, le Robert-le-diable fournit quelques éléments de réponse. C'est en effet l’espèce dont l’aire de distribution s’est le plus étendue vers le nord en Angleterre, très probablement des suites du réchauffement climatique. Il semble que cette progression fulgurante (plusieurs centaines de kilomètres vers le nord lors des 40 dernières années) soit associée à un changement de plantes hôtes. Dans le sud de l’Angleterre, l’espèce est souvent associée au Houblon alors qu'elle se développe de façon spécifique sur l’Ortie dioïque et l’Orme de montagne lorsqu’on se rapproche de la marge septentrionale de sa distribution. BRASCHLER et HILL ont étudié dans des cages expérimentales la survie des larves de Robert-le-diable sur ces trois plantes en fonction de la température. Les résultats sont étonnants : alors que le taux de survie des larves est équivalent sur les 3 espèces de plantes à une température de 18°C, elle est fortement réduite sur le Houblon à une température moyenne de 25°C ou 28,5°C alors que la température n’a pas d’effet sur le taux de survie des larves sur l’Ortie dioïque et l’Orme de montagne. Ces données suggèrent que l’espèce aurait profité de l’abondance du Houblon (planté pour l’industrie de la bière) à son arrivée en Angleterre puis a certainement opéré un changement de plante hôte suite au réchauffement climatique, ce qui lui aurait permis de coloniser de nouvelles stations septentrionales sans devoir attendre que l'aire de distribution de son hôte originel s'étende elle-aussi vers le nord de l'Angleterre.

L’ensemble de ces résultats montre donc à quel point la mise en place de relations interspécifiques entre des insectes phytophages et leurs plantes hôtes est complexe et soumise à plusieurs contraintes : abondance de l’hôte, cycle de développement de l’insecte, conditions climatiques changeantes. D’autres études viendront certainement démêler les facéties de ce diable de papillon !

Pour en savoir plus

  • JANZ (1998). Sex-linked inheritance of host plant specialization in a polyphagous butterfly. Proceedings of the Royal Society of London B, vol 265.
  • NYLIN, NYGREN, SODERLIND & STEFANESCU (2009). Geographical variation in host plant utilization in the comma butterfly : the roles of time constraints and plant phenology. Evolutionary Ecology, vol 23.
  • BRASCHLER & HILL (2007). Role of larval host plants in the climate-driven range expansion of the butterfly Polygonia c-album. Journal of animal Ecology, vol 76.

 

Jean-Pierre Moussus, juin 2012.