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Le Bombyle, une mouche aux pièces buccales très particulières

Auteur et publication : Jean-Pierre Moussus
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Grand Bombyle (Bombylius major) en train de se nourrir sur une inflorescence mâle de Saule marsault (Salix caprea).
On peut remarquer que l’insecte se nourrit en vol stationnaire et est capable d’exploiter n’importe quelle fleur de l’inflorescence (notamment les fleurs latérales) grâce à sa capacité à maintenir sa trompe en position intermédiaire par rapport à sa tête. L'insecte se nourrit de nectar qu'il prélève au niveau d'un nectaire situé à la base des fleurs mâles, lesquelles sont réduites à 2 étamines jaunes à l'aisselle d'une bractée.

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Grand Bombyle (Bombylius major) au repos.
On distingue nettement l’allongement de l’appareil buccal délimité dorsalement par le labre-épipharynx et ventralement par le labium (un léger sillon est visible sur la photographie et marque probablement la frontière entre les deux). La pilosité de l’animal est également très importante et caractéristique des Bombylidés qui ne doivent toutefois pas être confondus avec des Hyménoptères !

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Grand Bombyle (Bombylius major) au repos en vue dorsale.
Les ailes antérieures sont fumées de noir ce qui est une caractéristique de l’espèce. La paire de balanciers caractéristique des Diptères n’est pas visible car dissimulée dans la pilosité.

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Grand Bombyle (Bombylius major) en train de se nourrir sur une inflorescence mâle de Saule marsault (Salix caprea).
On distingue clairement les antennes courtes et ne portant pas de soie (non aristées) qui rangent les Bombylidés parmi les Brachycères Orthorraphes.

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C’est l’un des premiers insectes à faire son apparition au printemps. Dés les premiers beaux jours, et surtout lorsque les premières fleurs s’ouvrent, le grand Bombyle (Bombylius major) émerge de la galerie souterraine dans laquelle il a passé sa vie larvaire et la rigueur de l’hiver. Cette galerie n’est d’ailleurs pas exactement la sienne. En effet, lors de la saison précédente, la femelle a déposé ses œufs à l’entrée de galeries d’Hyménoptères comme des Abeilles solitaires du genre Andrena ou de guêpes fouisseuses. Les larves qui éclosent des œufs sont dotées de puissantes mandibules acérées. Elles pénètrent à l’intérieur des galeries et y consomment les larves des Hyménoptères qui sont donc parasitées.

L’adulte qui émerge au printemps de la pupe présente un régime alimentaire tout à fait différent de celui de sa larve. Le Bombyle est en effet un diptère exclusivement nectarivore. On peut facilement l’observer en train de se nourrir en plein vol. Il insère sa trompe dans la corolle des fleurs et y prélève le nectar un peu comme l’on sirote un jus de fruit avec une paille. Il est intéressant de constater que le Bombyle est classé parmi les Diptères Brachycères Orthorraphes comme le Taon par exemple. Des études morphologiques et phylogénétiques tendent à montrer que l’ancêtre de ce groupe présentait des pièces buccales proches de celles du Taon c'est-à-dire de longueur plutôt réduite et de type coupeur-suceur. Les pièces buccales du Bombyle apparaissent donc comme un état hautement dérivé de l’état ancestral par allongement des principales composantes de l’appareil buccal : le labre, les maxilles, l’hypopharynx et le labium, les mandibules ayant disparu.

Dans une étude astucieuse, SZUCSICH et KRENN ont comparé les caractéristiques de l’appareil buccal de deux bombylidés. Le premier, Hemipenthes morio possède les caractères présumés ancestraux alors que le second, Bombylius major présente des pièces buccales hautement dérivées. Les auteurs ont tout d’abord constaté qu’Hemipenthes ne pouvait se nourrir que sur des fleurs dont les corolles n’étaient pas très longues et sur des inflorescences dont les fleurs étaient orientées vers le haut, c'est-à-dire des fleurs dont le nectar est très accessible. A l’inverse, le grand Bombyle peut se nourrir sur quasiment n’importe quelle fleur dont la longueur de corolle n’excède pas celle de sa trompe et ce, quelque soit l’orientation de la fleur (notamment sur les inflorescences). Une comparaison plus fine des appareils buccaux de ces deux espèces montre un net allongement général chez Bombylius ce qui lui permet d’exploiter les fleurs aux corolles ou aux éperons nectarifères plus profonds. La comparaison montre également que la largeur de la trompe est plus faible chez le grand Bombyle qui peut donc l’enfoncer dans des corolles plus étroites tout en gardant la possibilité de se nourrir sur des fleurs aux corolles plus larges. La position de la trompe par rapport au reste de la tête est également plus libre chez Bombylius que chez Hemipenthes ce qui est dû à la modification de certains muscles. Alors qu’Hemipenthes doit se contenter d’aspirer le nectar avec la trompe en position complètement abaissée, Bombylius peut la maintenir en position intermédiaire ce qui lui permet d’exploiter en vol stationnaire les fleurs qui s’ouvrent latéralement au niveau des inflorescences comme c’est le cas pour celles du Saule marsault (Salix caprea). Enfin, l’étude suggère que ces modifications en ont imposé d’autres en relation avec l’aspiration des fluides le long de la trompe. L’allongement et la réduction en largeur de l’appareil buccal rendent plus difficiles la montée des liquides comme le nectar vers le cibarium qui les réceptionne. Contrairement aux mouches qui épongent littéralement les liquides grâce aux labelles situés à l’extrémité du labium qui sont pressés sur la nourriture, le Bombyle aspire le nectar et l’on constate notamment une augmentation de l’étanchéité du canal alimentaire ménagé par le labre dorsalement et le labium en position ventrale. On peut aussi observer une réduction du nombre de labelles et une augmentation de la largeur du cibarium ce qui permet d’accentuer l’aspiration.

Ce cas, très particulier chez les diptères, de spécialisation dans la consommation de nectar est à mettre en relation avec l’allongement de la langue également d’origine labiale chez les Apoïdes (Abeilles et Bourdons) ou le développement d’une trompe d’origine maxillaire (par soudure et allongement des galeas) chez les Lépidoptères. De beaux exemples de convergences évolutives chez les insectes !

Pour en savoir plus

  • SZUCSICH & KRENN (2002). Flies and concealed nectar sources : morphological innovations in the proboscis of Bombylidae (Diptera). Acta Zoologica vol 83.
  • SZUCSICH & KRENN (2000). Morphology and function of the proboscis in Bombylidae (Diptera, Brachycera) and implications for proboscis evolution in Brachycera. Zoomorphology vol 120.

 

Jean-Pierre Moussus, avril 2012