Skip to content. | Skip to navigation

Personal tools

Département de biologie
Sections
You are here: Home / Department Publications / Biodiversité / Documents / Histoires naturalistes / Images de 2012 / Semaine 38 (17-09-2012)

Le camouflage de l’araignée-crabe

Les araignées-crabe chassent à l'affût au sommet des fleurs et inflorescences. Elles y capturent des insectes pollinisateurs. Nous nous proposons d'examiner leur étonnante capacité à se camoufler qui repose notamment sur la possibilité qu'elles ont de changer de couleur en fonction de leur environnement.
error while rendering collective.contentleadimage.full

Araignée-crabe (Thomisus onustus) sous une inflorescence de Dipsacacée (Knautia sp. ou Scabiosa sp.).
L’individu présente ici une coloration blanche mais on note quand même la présence de taches jaunes et rosâtres. On distingue aisément deux des quatre paires d’yeux ainsi que les chélicères. Les deux premières paires de pattes, plus longues que les deux dernières, sont en position d’affût, prêtes à saisir un éventuel insecte pollinisateur.

Thomisus onustus araignée fleur

 

Araignée-crabe (Thomisus onustus) sur une inflorescence d’Orchis moustique (Gymnadenia conopsea).
On trouve souvent cette espèce sur les orchidacées roses. On note ici une coloration moins contrastée que celle de l’individu précédent.

Thomisus onustus araignée orchidée

 

Araignée-crabe (Thomisus onustus) sur une inflorescence d’orchidacée (Dactylorhiza sp.).
Cet individu, plus jeune que les précédents ne montre aucune trace de rose.

Thomisus onustus araignée orchidée 2

 

Araignée-crabe (Misumena vatia) présentant une pigmentation jaune sur une inflorescence de Pissenlit (Taraxacum sp).
L’individu s’est saisi d’une petite abeille solitaire venue butiner l’inflorescence. Le changement de coloration de l’araignée prend quelques jours et met en jeu la synthèse de pigments ommochromes au niveau des cellules épidermiques.

Misumena vatia araraignée

 

Il faut la chercher pour la trouver, inspecter de nombreuses inflorescences pour enfin pouvoir l’observer. L’araignée-crabe (Misumena vatia) appartient à la famille des Thomisidés couramment appelées araignées-crabes du fait de la longueur plus importante des deux premières paires de pattes. Contrairement à beaucoup d’autres familles d’araignées, les araignées-crabes ne tissent pas de toile pour piéger leurs proies. Elles sont certes pourvues de filières, organes permettant la production de la soie et situés à l’extrémité postérieure de leur abdomen, mais elles s’en servent pour fuir en cas de danger. Ainsi, on pourra constater que l’araignée quitte la fleur ou l'inflorescence qu’elle a choisie en descendant au sol en rappel, suspendue à un fil de soie si elle est dérangée. Les araignées-crabes chassent à l’affût. Elles se positionnent au sommet des fleurs et inflorescences et attendent, immobiles, le passage d’un insecte pollinisateur sur lequel elles referment leurs deux premières paires de pattes allongées comme les deux mors d’une pince. La proie est ensuite tuée par une injection venimeuse après que l’araignée y ait planté ses chélicères. Le prédateur consommera ensuite les liquides extracellulaires de sa capture pendant plusieurs heures avant de n’abandonner qu’un cadavre sec qu’il est facile de retrouver sur les sites où les araignées-crabes sont abondantes.
La capacité de Misumena vatia et d'autres araignées-crabes à changer de coloration en fonction de la fleur qu’elle a choisie pour chasser n’a cessé d’intriguer les biologistes depuis le début du XXème siècle. L’animal est en effet capable, en quelques jours, de virer du blanc teinté de rose au jaune, et inversement. Plusieurs questions se posent alors :

Quels sont les stimuli environnementaux qui déclenchent le changement de pigmentation de l’araignée ?
Dès 1941, Weigel, un biologiste allemand avait remarqué que les araignées-crabes dont les yeux étaient recouverts de peinture noire n’étaient plus capables de changer de couleur. De même, il a été montré que la lumière réfléchie par l’environnement immédiat de la fleur influençait la couleur de l’animal (THERY et al 2007). Enfin, dans une étude récente (2011) DEFRIZE et ses collaborateurs de l’université de Tours ont étudié les propriétés de la rétine des quatre paires d’yeux de Misumena vatia. Grâce à des enregistrements électrophysiologiques des cellules photoréceptrices, ils ont pu montrer que l’araignée disposait de l’équipement rétinien nécessaire à la vision dichromatique (dans le vert et l’ultraviolet). Il manque désormais les preuves de l’utilisation de stimuli visuels in natura par l’araignée-crabe mais, à la lumière de l’ensemble de ces résultats, elle est hautement probable.

Quels sont les mécanismes tissulaires et cellulaires de ce changement ?
La coloration jaune de Misumena vatia est due à la présence de pigments appelés ommochromes. Les ommochromes sont des produits terminaux du métabolisme du tryptophane. Ils peuvent être excrétés ou bien stockés par les Arthropodes. Dans le cas de l’araignée-crabe, on constate la présence de nombreux progranules translucides contenant les précurseurs des ommochromes dans les cellules de l’épiderme, juste sous la cuticule, lorsque l’araignée présente une coloration blanche. Ces progranules sont sécrétés par un réticulum endoplasmique granuleux très dense dans ces cellules. Le passage à la couleur jaune correspond  une maturation de ces progranules en granules d’ommochromes toujours à l’intérieur des cellules épidermiques. Les travaux d’INSAUSTI et collaborateurs ont permis de mettre en évidence que le retour à la coloration blanche mettait en jeu l’autolyse des granules matures ainsi que le recyclage des composés par autophagie au niveau des cellules épidermiques puis la synthèse de nouveaux progranules translucides.

Comment l’araignée utilise-t-elle précisément son camouflage sur une fleur donnée pour tromper le pollinisateur éventuel ?
Le positionnement des araignées-crabe sur les fleurs ne semble pas être aléatoire. Une étude d’HEILING et collaborateurs a en effet montré que la thomise Thomisus spectabilis (une espèce australienne) ne se positionnait en général pas au centre d’une Astéracée de type marguerite ou pâquerette. Au contraire, l’araignée demeure à l’affût au niveau des fleurs ligulées blanches. Des tests menés au moyen d’araignées-crabes naturalisées disposées sur des marguerites ont montré qu’une inflorescence portant une araignée en son centre était moins visitée par les pollinisateurs qu’une inflorescence dépourvue d'araignée. Au contraire, une inflorescence présentant une araignée placée sur les fleurs ligulées était davantage visitée qu’une fleur vide.

L’ensemble de ces résultats montre que la stratégie de chasse des araignées-crabes basée sur le camouflage est un mélange complexe de comportements et de mécanismes physiologiques. Il serait intéressant d’en étudier l’évolution ainsi que la portée écologique.

Pour en savoir plus

  • DEFRIZE, LAZZARI, WARRANT & CASAS. (2011). Spectral sensitivity of a colour changing spider. Journal of Insect Physiology vol 57
  • HEILING, CHENG & HERBERSTEIN. (2006). Picking the right spot: crab spiders position themselves on flowers to maximize prey attraction. Behaviour vol 143
  • INSAUSTI & CASAS. (2009). Turnover of pigment granules: Cyclic catabolism and anabolism of ommochromes within epidermal cells. Tissue and Cell Vol 41.
  • THERY. (2007) Colours of background reflected light and of the prey’s eye affect adaptive coloration in female crab spiders. Animal Behaviour vol 73

 

Jean-Pierre Moussus, septembre 2012