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La Processionnaire du Pin, un exemple actuel de spéciation allochronique

Auteur et publication : Jean-Pierre Moussus
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 Procession de chenilles de Processionnaire du Pin (Thaumetopoea pityocampa).
Les chenilles se dirigent vers un endroit ensoleillé pour creuser le nid dans lequel les individus achèveront leur développement post-embryonnaire et d’où émergeront les adultes. (Coteaux de l’Yonne à Irancy, mars 2010)

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Regroupement de chenilles de Processionnaire du Pin (Thaumetopoea pityocampa).
L'entassement des chenille marque l’endroit où elles sont en train de creuser leur nid souterrain. (Coteaux de l’Yonne à Irancy, mars 2010)

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Cocon de Processionnaire du pin (Thaumetopoea pityocampa) dans un Pin noir (Pinus nigra).
Les chenilles s'abritent la journée dans cet édifice de soie d'où elles ne sortent que la nuit pour consommer les aiguilles de pin. Le cocon leur sert d'abri pendant toute la période hivernale. (Monts du Lyonnais, avril 2012)

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La Processionnaire du Pin (Thaumetopoea pityocampa) est un Lépidoptère Hétérocère appartenant à la famille des Notodontidés. Cette espèce aurait pu, à elle seule, faire l’objet de quelques articles, son écologie pouvant servir à illustrer les conséquences des changements globaux majeurs actuels. L’intérêt particulier que lui portent nombre de scientifiques provient de la biologie de sa larve, couramment appelée chenille « processionnaire », ce que nous comprendrons dans les lignes qui suivent. 

Le papillon adulte ne fait quant à lui pas grand bruit : il s’agit d’un petit insecte d’environ deux centimètres de long aux teintes grisâtres et à l’activité essentiellement nocturne si bien qu’il passe souvent inaperçu. On ne peut pas en dire autant des chenilles. Celles-ci éclosent à partir d’œufs pondus par centaines à la fin de l’été sur différentes espèces de pins (l’espèce se développe préférentiellement sur les Pins noirs, laricio et maritime mais on peut la retrouver sur le Pin sylvestre, notamment dans le bassin parisien en forêt de Fontainebleau). Ces œufs sont disposés sous la forme de manchons de quelques centimètres de long entourant la base des aiguilles. Les chenilles issues d’un même manchon forment une colonie qui tisse un cocon de soie sur l’arbre hôte. Ces abris sont facilement visibles à la surface des pinèdes car ils forment des tâches blanc grisâtre. Durant tout l’hiver, les chenilles s’abritent dans ce cocon pendant la journée et sortent la nuit, ensemble, pour se nourrir d’aiguilles prélevées sur l’arbre hôte. A la fin de l’hiver, lors des premières belles journées de soleil, la colonie quitte le cocon en plein jour, guidée la plupart du temps par une femelle, et descend de l’arbre en véritable procession pour s’enterrer dans un nid commun creusé dans le sol dans un endroit ensoleillé. Les chenilles s’y transformeront en chrysalide et y effectueront leur mue imaginale, les adultes émergeant du terrier au début de l’été.

L’action défoliante des chenilles peut conduire à la mort de l’arbre (directe ou par recrutement de xylophages secondaires) si bien qu’elle est considérée par les forestiers comme un important ravageur. L’espèce profite notamment des monocultures de Pins maritime dans le bassin aquitain ("Pin des landes") dans lesquelles elle occasionne des dégâts considérables et fait l’objet de recherches actives par l’Institut National de Recherche Agronomique visant à limiter son impact sur la production de bois. Comme pour de nombreuses espèces, l’aire de distribution de la Processionnaire du Pin a fluctué en fonction des conditions climatiques. Des études phylogéographiques montrent que lors de la dernière glaciation, elle formait deux populations refuges dans les péninsules ibérique et italienne. Elle a désormais reconquis le sud de l’Europe occidentale et son expansion s’accélère actuellement à la suite du récent réchauffement climatique (la limite septentrionale de son aire de distribution a par exemple progressé de 87 km vers le nord entre 1972 et 2004 dans le bassin parisien).

L’écologie déjà très intéressante de cette espèce s’est enrichie depuis une quinzaine d’années d’une nouvelle particularité. Dans la plus grande pinède du Portugal, la forêt de Leiria (entre Porto et Lisbonne) des écologues ont constaté l’apparition d’une population de Processionnaires du Pin dont le cycle de développement est complètement décalé dans le temps par rapport au cycle classique observé ailleurs en Europe. Dans cette population découverte en 1997, les chenilles se développent en été, s’enterrent en hiver, et les adultes sortent des nids au printemps, c'est-à-dire près de 3 mois avant ceux des populations normales. Le stade larvaire précédant la procession est beaucoup plus court que celui du cycle classique, ce que l’on attribue aux ressources alimentaires plus abondantes en été qu’en hiver ainsi qu’aux températures bien plus élevées. Depuis 1997, la population possédant une phénologie modifiée s’étend dans cette forêt en sympatrie avec d’autres populations présentant un cycle de vie classique. Les chercheurs qui suivent attentivement sa dynamique ont montré, d’une part, que les adultes des deux types de populations ne se rencontrent jamais du fait du décalage de leurs dates d’émergence et, d’autre part, que la divergence génétique de cette nouvelle population d’avec les populations classiques de la même forêt est plus importante que la divergence entre ces dernières et d’autres populations classiques portugaises. Ainsi, nous sommes probablement en train d’assister à un phénomène de spéciation sympatrique, c'est-à-dire à la divergence de deux populations d’une même espèce qui ne sont pas isolées par une barrière géographique. Le mécanisme responsable dans ce cas est l’allochronie, c'est-à-dire un isolement reproducteur lié à des phénologies différentes. Ce phénomène bien connu chez les plantes pour lesquelles le processus de spéciation peut être initié par des dates de floraison différentes entre deux populations d’une même espèce en sympatrie, est plus rare chez les animaux. On peut dès lors imaginer plusieurs scénarios pour l’avenir de ces populations divergentes de Processionnaires. Dans le premier, il se pourrait que l’une des populations supplante l’autre par compétition dans un avenir proche, auquel cas l’existence de ces deux populations ne serait que transitoire. On peut aussi imaginer que le processus de divergence se poursuive et aboutisse à la formation de deux espèces de Processionnaires aux niches écologiques différenciées.

Pour en savoir plus

  • SANTOS, BURBAN, ROUSSELET, ROSSI, BRANCO et KERDELHUE (2011). Incipient allochronic speciation in the pine processionary moth (Thaumetopoea pityocampa, Lepidoptera, Notodontidae). Journal of Evolutionary Biology vol 24.
  • ROUSSELET, ZHAO, ARGAL, SIMONATO, BATTISTI, ROQUES et KERDELHUE (2010). The role of topography in structuring the demographic history of the pine processionary moth, Thaumetopoea pityocampa (Lepidoptera: Notodontidae). Journal of Biogeography, vol 37.
  • PIMENTEL, CALVAO, SANTOS, FEREIRA, NEVES et  NILSSON (2006). Establishment and expansion of a Thaumetopoea pityocampa (Den. & Schiff.) (Lep. Notodontidae) population with a shifted life cycle in a production pine forest, Central-Coastal Portugal. Forest Ecology and Management, vol 233.
  • BOUHOT-DELDUC. Dynamique des populations de Processionnaire du Pin et extension de son aire de colonisation de 1981 à 2004 en France. Bilan de la santé des forêts en 2004. Ministère de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche et de la ruralité, Mars 2005.

 

Jean-Pierre Moussus, janvier 2012