Le Grand Capricorne, un ingénieur écologique au statut controversé
En France, seule une petite dizaine d'espèces de coléoptères bénéficie d'un statut de protection à l'échelle nationale. A titre de comparaison, vingt espèces de lépidoptères sont protégées alors que le nombre total d'espèces de coléoptères est très nettement supérieur. Parmi ce cortège réduit, l'une d'entre elles fait débat, il s'agit du Grand Capricorne (Cerambyx cerdo). La taille de cet insecte est impressionnante puisqu'elle peut atteindre une dizaine de centimètres de long, antennes non comprises. Son abdomen, de couleur brun-noir, est allongé et légèrement rétréci vers son extrémité postérieure. La forme des antennes (extrémité distale des articles plus large que l'extrémité proximale) et leur dimension importante, le rangent parmi la famille des Cérambycidés. Bien que rare et localisé dans la moitié nord de la France, le Grand Capricorne peut être commun au sud du Massif Central, des Landes jusqu'aux Alpes.
Les problèmes posés par cet insecte viennent de ses stades larvaires. A l'instar de nombreuses espèces de coléoptères cérambycidés, les larves du Grand Capricorne sont xylophages, c'est-à-dire qu'elles se développent en consommant du bois. Elles participent de plus à une décomposition du bois en favorisant l'installation d'autres espèces, ce qui en fait une espèce saproxylique. Les adultes (ou imagos) se nourrissent d'exsudats sucrés perlant depuis les rameaux ou troncs blessés ou bien de fruits. Ils pondent sur de vieux chênes et parfois sur des châtaigniers (toutes les espèces sont susceptibles d'être colonisées, même les variétés introduites d'Amérique du Nord), au niveau de blessures ou d'anfractuosités. Les larves qui éclosent des œufs creusent des galeries dont certaines peuvent atteindre deux centimètres de diamètre à l'intérieur des troncs dans lesquels elles se développent pendant presque trois ans (31 mois). Les mues nymphales et imaginales se déroulent également dans le bois à la fin de l'été ou au début de l'automne et les adultes qui en résultent passent l'hiver à l'abri dans les loges. Au printemps suivant (à partir de juin), les adultes quittent le loges, partent à la quête de partenaires sexuels et les femelles reviennent souvent pondre sur les arbres à l'intérieur desquels elles se sont elles-mêmes développées. La présence de grands capricornes sur un vieux chêne signifie qu'à plus ou moins long terme, l'arbre est condamné si bien que cet insecte est considéré comme un ravageur dans les zones où il abonde et que son statut de protection nationale est loin de faire l'unanimité.
Cependant, la larve du Grand Capricorne peut avoir également une action bénéfique au sein des écosystème. Par son activité saproxylique, la larve peut être considérée comme un ingénieur écologique, c'est-à-dire une espèce dont le développement contrôle la disponibilité en ressources pour d'autres espèces. Une équipe de chercheurs allemands a en effet récemment montré que la présence de larves de Grand Capricorne est corrélée à une plus grande diversité spécifique de coléoptères saproxyliques, dont certaines présentent elles-mêmes un intérêt de conservation. Ainsi, l'arbre progressivement blessé par le creusement des galeries larvaires, et dont les tissus entrent en décomposition, est utilisé comme ressource alimentaire par des coléoptères xylophages (se nourrissant de bois vivant) et saprophages (se nourrissant de bois mort) ainsi que par des champignons. Il s'ensuit que les coléoptères mycétophages (se nourrissant de champignons saprophages), nécrophages (se nourrissant d'animaux morts) et zoophages (prédateurs d'autres insectes) prolifèrent et, que les succiphages (lécheurs de sucs végétaux) profitent des exsudats liés aux blessures infligées par les larves de Grand Capricorne au bois. C'est donc une communauté entière qui bénéficie de la présence d'une seule espèce ! Pour autant, ses effets potentiellement dévastateurs sur les vieux arbres doivent être intégrés dans les stratégies de conservation de l'espèce.
Pour en savoir plus
- Buse, Ranius et Assmann. (2008) An Endangered Longhorn Beetle Associated with Old Oaks and Its Possible Role as an Ecosystem Engineer. Conservation Biology, Volume 22, No. 2, 329-337
Jean-Pierre Moussus, novembre 2011.