Les usages et l'histoire du safran
En grandes surfaces, on trouve le safran généralement en poudre, présenté en dosettes de 0,1 g (proposées par 4 sur une fiche cartonnée ou dans un petit pot en verre). Il provient majoritairement d'Iran et coûte environ 1,25 € les 0,1 g (soit 12,5 €/g et 12500 €/kg). Le safran français (Gâtinais, Quercy...) se trouve en filaments ou en poudre à des prix bien sûr plus élevés, autour de 3 € les 0,1 g (soit 30 €/g et 30 000 €/kg). On trouve également dans des épiceries spécialisées du véritable safran iranien (13 €/g), grec (7,5 €/g), marocain, espagnol, italien, etc.
La fleur épice
En France, le safran est utilisé surtout dans la bouillabaisse, la soupe de poisson et sa rouille, mets auxquels il communique une belle couleur jaune d'or. Lorsqu'on entre dans un restaurant du midi proposant ces spécialités, on est d'ailleurs accueilli par l'odeur caractéristique et pénétrante du safran.
Dans la cuisine espagnole, il est utilisé dans de nombreux plats comme la paëlla, spécialité à base de riz et la zarzuela, à base de poissons. Les italiens en aromatisent le risotto alla milanese. Les marocains l'utilisent eux dans leurs tajines.
Et le savez-vous ? La grande chartreuse jaune, liqueur traditionnelle composée par les moines de la Grande Chartreuse selon une formule largement secrète, contient un peu de safran.
La fleur couleur
Il semble que le safran ait été depuis la plus haute antiquité un colorant. Les stigmates du safran, même en faible quantité, produisent une lumineuse couleur jaune. Plus la quantité de safran est importante, plus la couleur du tissu tend vers le rouge. Aussi précieux que la pourpre (pigment obtenu à partir d'un Mollusque marin le Murex), le safran servait à teindre les vêtements des rois babyloniens perses ou mèdes. Homère, dans l'Iliade, décrit Eos (l'Aurore) vêtue de son krokopeplos, le manteau de crocus « Eos jaillit des flots habillée de safran ». Les mariés de Rome portaient des voiles teints au safran, coutume qui s'est perpétuée jusqu'au Moyen-Age. Peut-être le jupon jaune retrouvé au fond d'un grenier périgourdin avec des vêtements de mariés du siècle dernier en est-il l'ultime vestige ? L'exemple actuel le plus frappant est celui des moines bouddhistes qui portent traditionnellement des robes de couleur safran. Vu le prix du safran, beaucoup sont d'ailleurs teintes actuellement avec du curcuma.
Plus étonnante est l'utilisation de la safranine, colorant tiré du safran pour réaliser des colorations de coupes histologiques. Une technique assez courante est la coloration à la safranine-vert lumière, colorant les noyaux cellulaires en rouge vif et les cytoplasmes en jaune-vert.
La fleur de santé
Avant d'être épice, le safran fut utilisé pour ses propriétés médicinales. Le papyrus Ebers, découvert en 1872, daté de 1550 avant Jésus-Christ mentionne le safran dans la composition de plusieurs préparations. Remède précieux, il est transmis de siècle en siècle, ce que rappelle cette citation latine : « confortare crocus dicatur laetificando et partes lascas firmare, hepare reparando » que l'on peut traduire par « le safran réconforte, il excite la joie, raffermit tout viscère, et répare le foie. » C'est peut être lui accorder des vertus qu'il ne possède pas ! Il est utilisé actuellement en homéopathie.
L'histoire du safran
D'où vient le safran ? Est-il apparu au pied de l'Himalaya au Cachemire ou dans le bassin méditerranéen ? Selon les recherches botaniques récentes, il serait originaire de Crète et non du Cachemire, comme on le disait autrefois.
Mais depuis quand le safran serait originaire de Crête ? Au moins 3500 ans. En effet on trouve sur le site d'Akrokiri (dans l'île grecque de Santorin) des fresques parfaitement évocatrices à ce sujet. On y voit en particulier de petites touffes de safran cueillies par deux femmes. Ces fresques sont les premières représentations botaniquement exactes de la plante. Elles ont été recouvertes, et donc protégées, par des cendres volcaniques issues de l'explosion de l'île datée de 1650-1500 avant J-C.
Le safran, largement répandu sur le pourtour méditerranéen par les Phéniciens est bien connu et utilisé par les grecs puis les romains. Il est d'abord apprécié comme parfum et déodorant. La reine d'Egypte Cléopâtre, verse un quart de tasse de safran dans ses bains chauds ; Quand l'empereur Néron est entré dans Rome, on a répandu du safran dans les rues. On l'emploie également comme remède dans un large panel de maladies gastro-intestinales et comme aphrodisiaque. Enfin c'est un colorant orange apprécié.
Il aurait été ensuite introduit au Cachemire par les Perses. Une légende raconte comment Alexandre le Grand aurait été arrêté dans sa conquête par la méconnaissance de la plante : « Ayant installé son camp, un soir d'automne dans une vallée du cachemire, il avait planté sa tente sur un site dénudé permettant d'apercevoir le moindre ennemi de loin. Le lendemain matin il fut surpris de retrouver son armée isolée au milieu d'un océan de fleurs de safran qui avaient poussé dans la nuit. Ignorant tout de cette fleur et croyant à un maléfice il plia bagage. Les cachemiris qui racontent cette légende ne sont pas peu fiers d'avoir repoussé l'envahisseur. »
La culture du safran a rapidement décliné à la suite de la chute de l'empire romain, au point qu'elle se fit rare dans toute l'Europe. Il semble que ce soient les arabes qui l'aient réintroduite en Afrique du nord, l'Espagne et dans le sud de la France au cours de leurs conquêtes. Quand la peste noire ravagea l'Europe entre 1345 et 1350, la demande pour le safran et sa culture explosa. Il est convoité par les victimes de la peste pour ses (supposées !) vertus médicinales. Bâle devient une ville prospère grâce à la culture du safran. L'Angleterre d'Edouard III cultive le safran partout et devient un producteur de premier plan. Peu à peu cependant, concurrencée par d'autres cultures, le safran décline et ne se trouve plus qu'en France, Italie et Espagne.
Il arrive en Amérique en 1730 avec des Allemands fuyant les persécutions religieuses. Installés en Pennsylvanie, ces Pennsylvania Dutch cultivent encore aujourd'hui le safran dans le comté de Lancaster.
La France est, à la fin du XIXème siècle, un grand pays producteur, essentiellement dans le Gâtinais (voir le précédent article La culture du safran).
Remerciements
Nous remercions particulièrement Jean Jatteau pour son accueil chaleureux, sa visite guidée du musée du Safran (Boynes, Gâtinais, département du Loiret) et les bulbes qu'il nous a fournis.
Bibliographie
- AUCANTE Pierre, Le safran, Actes sud, 2000
- BOISVERT Clotilde, AUCANTE Pierre, Saveurs du safran, Albin Michel, 1993
- COHEN-AZUELOS Jacqueline, Fleur de safran ; images et saveurs du Maroc, Edisud, 1999
- JOSSEN Erwin, Le safran de Mund, Suisse, 1991
- LAZERAT Véronique, Secrets de safranière, Lucien Souny, 2009
- MANREZA Jacques et Gisèle, Petit traité savant du safran, Equinoxe, 2003
Régis Thomas, David Busti et Margarethe Maillart, décembre 2010.
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