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Les signaux honnêtes et malhonnêtes du plumage chez le Cygne tuberculé

Auteur et publication : Jean-Pierre Moussus

Cygne tuberculé (Cygnus olor) mâle au repos sur le Rhône.
Son nom vient du tubercule charnu et adipeux présent au dessus du bec. Il existe un dimorphisme de taille de ce tubercule entre les mâles et les femelles. Il a également été montré que la taille du tubercule est un signal sexuel chez les mâles. Sa taille est en effet supérieure chez les individus reproducteurs par rapport aux oiseaux qui ne se reproduisent pas. (Rhône, mars 2012)

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Cygne tuberculé (Cygnus olor) mâle en position de défense.
Le port des ailes au repos est caractéristique chez le mâle et témoigne de son agressivité. Lorsqu’un mâle expulse un intrus hors de son territoire, il avance vers lui les ailes en toit au dessus du corps et le cou replié. (Rhône, mars 2012)

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Cygnes tuberculés (Cynus olor) mâle et femelle.
Le dimorphisme de la taille du tubercule est visible ici. Le mâle se trouve au premier plan alors que la bosse est un peu plus estompée chez la femelle en arrière plan. Contrairement aux idées reçues, les couples ne sont pas unis pour la vie. (Rhône, février 2012).

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Groupe de Cygnes tuberculés (Cygnus olor) sur la Loire partiellement gelée.
On reconnaît ici les deux types de plumages (adulte en blanc sur le 3ème individu en partant de la gauche, et grisâtre pour les autres). Pour tout savoir sur la formation des crêpes de glace visibles sur cette photographie, voici ici le lien vers un article publié sur un excellent site bien connu des amateurs de sciences de la Terre ! (Photo prise en février 2012)

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Groupe de Cygnes tuberculés (Cygnus olor) sur la Loire partiellement gelée.
Les 4 individus qui se trouvent à l’arrière du groupe sont probablement des mâles dont 3 arborent un plumage immature. (Photo prise en février 2012)

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Critères d'identification des 3 espèces de Cygnes sauvages visibles en France.
En plus du Cygne tuberculé (Cygnus olor) dont le bec est orange et surmonté d'un tubercule, deux autres espèces de cygnes à bec jaune et noir peuvent être observées en France. Les Cygnes chanteur (Cygnus cygnus) et de Bewick (Cygnus columbianus) nichent dans le nord de l'Europe et ne sont présents en France qu'en hiver dans certaines grandes zones humides comme la Dombes (Ain) ou le Lac du der Chantecoq (à cheval sur la Marne, la Haute-Marne et l'Aube). L'examen du bec permet de distinguer les deux espèces. Chez le Cygne chanteur (à gauche), le jaune du bec se prolonge ventralement au delà de la narine alors que ce n'est jamais le cas chez le Cygne de Bewick (à droite).

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Le Cygne tuberculé (Cygnus olor) est sans conteste l’oiseau que l’on distingue et que l’on reconnaît le plus aisément lorsque l’on se rend au bord d’un cours d’eau, d’un étang ou d’un lac. Cet anatidé est en effet l’un des plus grands oiseaux nicheurs de France métropolitaine puisque son envergure peut atteindre 2,5 mètres et son poids dépasser les 15 kg. Son omniprésence actuelle est trompeuse. Le Cygne tuberculé n’appartient à l’avifaune nicheuse de France que depuis quelques siècles. L’aire de distribution originelle de l’espèce couvre l’Asie centrale jusqu’à la Chine à l’est et le centre ainsi que le nord de l’Europe.

C’est au Moyen-âge que l’espèce est régulièrement importée en Europe occidentale (notamment en Allemagne, en Suisse et en Autriche), à des fins ornementales dans les demeures seigneuriales où elle est également consommée. Ce sont ces petits effectifs captifs qui vont fonder les populations d’Europe occidentale par marronnage. Ce terme désigne le processus de retour à l’état sauvage de populations domestiquées. Il est d’ailleurs intéressant de constater que les sites de nidification du Cygne tuberculé dans son aire d’origine diffèrent de ceux de son aire d’introduction, étant souvent plus éloignés des implantations humaines. En Europe occidentale, les populations croissent à un rythme très soutenu depuis la mise en place du statut de protection en 1976. Une étude de FOUQUE et collaborateurs rapporte un doublement de la population nicheuse française entre 1978 (500 couples environ) et la fin des années 90 (1000 couples environ) ce qui n’est pas sans poser un certain nombre de questions écologiques. La biologie reproductive de l’espèce est en effet intéressante. Le territoire est défendu entre février et octobre et l’espèce peut se montrer très agressive vis-à-vis d’autres espèces d’oiseaux aquatiques. Jusqu’à présent, il n’existe cependant pas d’étude montrant un impact de ce comportement territorial sur les effectifs d’autres espèces nicheuses en zones humides.

Le Cygne tuberculé a fait l’objet de nombreuses études scientifiques dans des thématiques aussi variées que l’épidémiologie (notamment pour son rôle dans la propagation de différentes souches de virus de la grippe aviaire dont H5N1), la dynamique des populations (afin de comprendre les facteurs de l’essor des populations d’Europe occidentale) et la biologie évolutive. C’est cette dernière qui va désormais nous intéresser. Le naturaliste observateur pourra aisément remarquer qu’en hiver, lorsque les Cygnes tuberculés se regroupent et que le territoire n’est plus défendu, certains individus arborent un plumage grisâtre et non blanc. Ce plumage correspond à celui d’oiseaux immatures qui ne se reproduiront pas l’année suivante. Jusqu’ici, rien d’étonnant, puisque de nombreuses espèces d'oiseaux comme les goélands ou certains rapaces n’acquièrent un plumage adulte qu’au bout de quelques années. Toutefois, chez les Cygnes tuberculés, il existe un polymorphisme de la persistance du plumage immature ou subadulte. Ainsi, certains oiseaux ne conservent leur plumage immature qu’un an alors que d’autres le gardent pendant deux ans alors même qu’ils seraient physiologiquement capables de se reproduire. CONOVER et collaborateurs ont étudié le maintien d’un tel polymorphisme dans les populations de Cygnes tuberculés. Ils ont montré que ce trait était contrôlé par un locus à deux allèles situé sur le chromosome X et que les individus doublement récessifs ne gardaient leur plumage immature qu’un an. Les ornithologues ont suivi de près deux populations de Cygnes tuberculés et montré que les individus gardant leur plumage immature pendant deux ans bénéficiaient d’un meilleur taux de survie que ceux qui le perdaient au bout d’un an. En effet, les « immatures de longue durée » profitent de la protection parentale pendant plusieurs mois supplémentaires alors que les « immatures de courte durée » de la même couvée sont chassés par les parents dès leur premier automne ! Cependant, les « immatures de courte durée » peuvent se reproduire dès le printemps qui suit leur premier hiver parce qu'ils sont reconnus comme adultes par des partenaires sexuels éventuels. Cet avantage reproductif semble donc contrebalancer le déficit de survie corrélé à ce génotype et suffirait donc à assurer le maintien des deux allèles dans les populations de cygnes.

Du point de vue de la communication, ces deux phénotypes sont très différents. Le plumage immature de longue durée peut être interprété comme un signal honnête du statut de l’animal (inexpérimenté, moins fort qu’un adulte plus âgé sachant que l’espèce peut vivre 20 ans). Au contraire, la perte rapide du plumage immature constitue une forme de triche puisque le plumage ne reflète pas la véritable condition de l’animal. Il s’agit en tous cas d’un exemple unique de contrôle par un seul gène des signaux honnêtes et malhonnêtes adressés aux parents et aux partenaires potentiels et influençant le comportement des destinataires ainsi que la survie de l’émetteur.

Pour en savoir plus

  • HORROCKS, PERRINS & CHARMANTIER (2009). Seasonal changes in male and female bill knob size in the mute swan Cygnus olor, Journal of Avian Biology, vol 40.
  • CONOVER, REESE & BROWN (2000). Costs and benefits of subadult plumage in Mute Swans : testing hypotheses for the evolution of delayed plumage maturation, The American Naturalist, vol 156.
  • FOUQUE, GUILLEMAIN, BENMERGUI, DELACOUR, MONDAIN-MONVAL & SCHRICKE (2007). Mute swan (Cygnus olor) winter distribution and numerical trends over a 16-year period (1987/1988–2002/2003) in France, Journal of Ornithology, vol 148.

 

Jean-Pierre Moussus, mai 2012