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L’Apollon, témoin des changements climatiques depuis 100 000 ans

Auteur et publication : Jean-Pierre Moussus

Apollon (Parnassius apollo) immobilisé par le froid matinal sur une centaurée (genre Centaurea).
Le rouge vif des points situés sur les ailes antérieures et postérieures indiquent un mâle. On peut remarquer la marge transparente des ailes antérieures. (Massif du Mont Aiguille dans le Vercors, août 2010)

Apollon_centaurée_parnassius_apollo

 

Apollon (Parnassius apollo) immobilisé par le froid matinal sur une achillée.
Les points rouge pâle indiquent une femelle. (Massif du Vercors, août 2011)

Apollon_parnassius_apollo

 

Orpin âcre (Sedum acre).
Cette petite crassulacée sert fréquemment de plante hôte pour la chenille de l’Apollon. On la trouve dans les milieux secs et rocailleux (y compris à basse altitude).

Sedum_acre

 

Joubarbe (genre Sempervivum).
Cette crassulacée pousse en montagne dans les endroits secs et plutôt caillouteux. C’est également une plante hôte de l’Apollon.

Joubarbe_sempervivum

 

Certaines espèces bénéficient d’une médiatisation particulièrement importante et endossent parfois un rôle emblématique d’une région ou d’une cause. L’Apollon (Parnassius apollo) appartient à cette catégorie. Sa grande taille, ses couleurs et ses exigences écologiques en ont fait un véritable symbole des prairies fleuries de moyenne montagne. On trouve en effet ce rhopalocère (papillon dit « de jour ») entre 500 et 2400 mètres d’altitude (très souvent aux alentours de 1500 mètres) sur les pentes et les talus rocheux, les prairies et les lisières caillouteuses et fleuries. Son envergure importante, qui atteint la dizaine de centimètres, ses gros points rouges ainsi que la marge translucide de ses ailes antérieures, n’autorisent aucune confusion sur le terrain. 

L’Apollon affiche un haut degré de spécialisation pour l’habitat et, comme bien d’autres rhopalocères, pour les plantes sur lesquelles il pond et se nourrit. La femelle dépose en effet ses œufs de façon exclusive sur des crassulacées et notamment des orpins (genre Sedum) ou des joubarbes (genre Sempervivum), si bien que la distribution de ces plantes « hôtes » détermine la distribution géographique du papillon. L’Apollon est classé par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) comme vulnérable. Deux menaces pèsent en effet sur ses populations bien souvent en déclin. La première est liée à la déprise agropastorale qui sévit dans les zones montagnardes qu’il affectionne. En effet, avec la disparition progressive des troupeaux en altitude, les milieux ont tendance à se fermer, et la forêt à reprendre ses droits induisant le remplacement d’espèces typiques de milieux ouverts par d’autres plus enclines à se reproduire en milieu boisé. La seconde menace est celle du réchauffement climatique.

Un coup d’œil à la distribution actuelle de l’Apollon montre qu’il se reproduit actuellement dans la plupart des grands massifs montagneux d’Europe (Alpes, Pyrénées, Carpates, Apennins et Balkans) mais aussi qu’il forme quelques populations en Scandinavie. On observe actuellement le déclin des populations des altitudes les plus faibles, probablement à cause réchauffement récent. Cependant, le façonnement de l’aire de distribution de ce papillon par le climat ne date pas de l’épisode de réchauffement récent mais remonte à environ 100 000 ans. Une équipe de chercheurs italiens a en effet étudié la phylogéographie de l’espèce. Ce travail consiste dans un premier temps à échantillonner des individus dans les différentes populations connues et à établir une phylogénie à l’intérieur même de l’espèce (ici au moyen de l’ADN mitochondrial). Ensuite, la phylogénie obtenue peut-être mise en relation avec la distribution géographique de l’espèce de façon à retracer l’histoire de cette aire de distribution. L’utilisation d’une horloge moléculaire permet même de proposer une datation des principaux évènements de colonisation et de diversification de l’espèce. Appliquée à l’Apollon, ces techniques semblent indiquer que l’espèce est originaire de l’Europe de l’est à partir de laquelle elle aurait colonisé l’Europe de l’ouest à la faveur du commencement de la glaciation du Würm (entre – 100 000 et -70 000 ans). Il y a 65 000 ans, alors que la glaciation se poursuit, la phylogénie montre une rapide phase de diversification de l’espèce (la diversité génétique augmente), ce qui traduit très probablement une phase d’isolement de petites populations dans le sud de son aire de distribution. Durant la période qui s’écoule entre – 50 000 et – 30 000 ans, l’espèce s’étend à nouveau, profitant certainement d’un épisode un peu moins froid avant de voir sa répartition se fragmenter à nouveau au moment du dernier maximum glaciaire il y a environ 20 000 ans. Le dernier épisode se produit pendant l’Holocène, c'est-à-dire pendant le réchauffement qui suit la glaciation würmienne. On constate alors la formation des populations scandinaves à mesure que l’augmentation des températures fait reculer les calottes glaciaires vers les hautes latitudes. Les tendances au déclin dans les populations méridionales et de basse altitude observées actuellement s’inscrivent dans ce contexte et sont accélérées par le réchauffement climatique anthropogénique.

Cet exemple illustre bien à quel point l’étendue des aires de distribution des espèces sont dépendantes des fluctuations climatiques. Le devenir de celles qui sont actuellement inféodées aux climats froids et dont la répartition est de type arctico-alpine sera fonction de plusieurs paramètres : leur capacité à suivre le déplacement de leur niche climatique par dispersion et, à plus long terme, leurs possibilités d’adaptation à de nouvelles conditions environnementales.

Pour en savoir plus

  • TODISCO, GRATTON, CESARONI, SBORDONI (2010). Phylogeography of Parnassius apollo: hints on taxonomy and conservation of a vulnerable glacial butterfly invader. Biological Journal of the Linnean Society, Vol 101: 169–183
  • LAFRANCHIS, Papillons d’Europe, Editions Diatheo (Paris) 2007. 

 

Jean-Pierre MOUSSUS, décembre 2011