Le Ver plat de Roscoff, un ver marin en symbiose avec une algue verte
Quand on se déplace à marée basse sur les estrans sableux du nord des côtes bretonnes, il arrive d'observer autour du niveau de mi-marée et dans les zones de résurgence des eaux, un dépôt vert bouteille faisant penser à une algue verte microscopique. En regardant ce dépôt de plus près, le promeneur sera surpris d'y voir des milliers d'individus d'un ver marin minuscule s'enroulant dans la mince pellicule d'eau recouvrant le sable. Ce ver présente un corps aplati d'une longueur de 1 à 2 mm (4 mm au maximum). Il s'agit du Ver plat de Roscoff, Symsagittifera roscoffensis, anciennement appelé Convoluta roscoffensis par allusion à l'enroulement du ver dans l'eau et au fait qu'il a été décrit pour la première fois à la station biologique de Roscoff, en 1891. Contrairement à ce que pourrait laisser entendre son nom, ce ver n'est pas endémique des côtes bretonnes, puisqu'on le retrouve en Manche et sur la façade atlantique.
La couleur vert bouteille de Symsagittifera roscoffensis suggère que celui-ci soit photosynthétique, un caractère peu commun chez les animaux, exception faite des Cnidaires qui vivent pour la plupart en association avec des dinoflagellés symbiotiques (zooxanthelles). Une observation microscopique montre qu'effectivement Symsagittifera roscoffensis abrite dans son parenchyme de nombreuses cellules (jusqu'à 25 000 !) d'une algue verte unicellulaire prasinophyte : Tetraselmis convolutae. L'interaction qui s'établit entre les deux partenaires est de nature symbiotique puisque chacun en retire un bénéfice : le ver prélève les produits de la photosynthèse de l'algue (des sucres et des acides aminés essentiels) alors que l'algue trouve dans son hôte un milieu stable où elle se trouve protégée des prédateurs du zooplancton. Toutefois, l'avantage sélectif pour les algues symbiotiques par rapport aux populations d'algues libres reste à démontrer. La symbiose est obligatoire pour le ver adulte dans la mesure où celui-ci présente un tube digestif régressé non fonctionnel, le rendant entièrement dépendant de l'algue pour sa nutrition carbonée.
Le Ver plat de Roscoff ne fait rien comme les autres vers marins. Alors que la Planaire fuit la lumière pour échapper à d'éventuels prédateurs et que nombre de vers des estrans sableux s'enfoncent dans le sable à marée basse, le Ver plat de Roscoff, lui, remonte à la surface du sédiment dans une mince pellicule d'eau le recouvrant. Ce comportement remarquable permet d'optimiser la photosynthèse de son algue symbiotique, et par là même sa propre nutrition. Deux heures avant la pleine mer, le ver s'enfonce dans le sédiment, ce qui lui évite d'être mis en suspension par le courant de marée montante mais, à marée basse, le ver remonte à la surface du sédiment et s'expose à la lumière pour photosynthétiser. Ces mouvements verticaux sont rendus possibles grâce au statocyste sensible à la gravité (le statocyste se présente sous la forme d'une tâche blanche médiodorsale à l'avant du ver) et les deux ocelles bruns photosensibles disposés de part et d'autre du statocyste. Les mouvements d'enroulement du ver assurés par la ciliature épithéliale permettent également d'optimiser l'exposition de l'algue à la lumière.
Comment le ver rencontre-t-il son algue ? La transmission de l'algue à la nouvelle génération de ver se fait de manière horizontale. Les vers juvéniles, de couleur blanche, ingèrent des algues par leur tube digestif (encore fonctionnel à ce stade du développement), lesquelles seront ensuite phagocytées par les cellules de parenchyme du ver. Bien que soumises à l'action des enzymes digestives, les algues phagocytées ne sont pas totalement digérées (elles perdent toutefois certaines structures devenues inutiles comme la paroi cellulaires et ses flagelles), ce permettra l'établissement d'une symbiose endocellulaire. Et si la rencontre entre le ver et l'algue n'a pas lieu, le ver est condamné à mourir !
Pour en savoir plus
- BAILLY Xavier, Un ver et une algue : l’acoele Symsagittifera roscoffensis, Biofutur Mai 2009.
- MWINYI Adina et al., The phylogenetic position of Acoela as revealed by the complete mitochondrial genome of Symsagittifera roscoffensis, BMC Evolutionary Biology 2010, 10:309.
David Busti, novembre 2011.