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Les griffes de sorcière, des plantes grasses envahissant le littoral méditerranéen

Auteur : David Busti
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En vous promenant à la belle saison sur le littoral de la Méditerranée ou de l'Atlantique, il vous est sans doute arrivé de rencontrer une plante grasse à tiges rampantes robustes portant des feuilles charnues à 3 angles en forme de griffe, et des grosses fleurs d'environ 10 cm de diamètre de couleur rose pourpre éclatant ou jaune pâle. Ces plantes originaires d'Afrique du Sud (région du Cap) ont été introduites dès 1680 au jardin botanique de Leyden (Hollande) comme plantes exotiques ornementales. Elles ont ensuite été cultivées dans divers jardins botaniques d'Europe pour se naturaliser (c'est-à-dire s'intégrer à la flore indigène) dans différentes stations. Dès le début du XXe siècle, elles sont largement implantées sur le pourtour de la Méditerranée, notamment en France en Provence cristalline (Maures, Estérel, Iles d'Hyères) et en Corse. Aujourd'hui, elles sont considérées comme des "pestes écologiques" du fait de leur caractère invasif. Ces plantes, communément appelées "griffes de sorcière" ou "crocs de sorcière" ou "doigts de sorcières" ou encore "figuiers des Hottentots" regroupent plusieurs taxons appartenant au genre Carpobrotus et à la famille Aizoacées, une grande famille de plantes dicotylédones surtout répandues en Afrique australe, dans les zones de climat sec. L'espèce la plus répandue est Carpobrotus edulis qui donne des fleurs jaune pâle et des feuilles à section transversale en forme de triangle équilatéral. Elle s'est hybridée avec une autre espèce du genre Carpobrotus, Carpobrotus acinaciformis, à fleurs rose pourpre, pour donner un deuxième taxon engendrant également des nuisances écologiques en France : Carpobrotus aff. acinaciformis (littéralement, taxon affin de C. acinaciformis).

Le succès des griffes de sorcière dans le milieu naturel tient tant à son écologie qu'à ses propriétés biologiques. Les Carpobrotus présentent en effet une grande plasticité écologique vis-à-vis du substrat (l'espèce présente une large amplitude vis-à-vis du substrat) puisqu'elles sont capables de coloniser les rochers littoraux, les falaises siliceuses, les pentes rocailleuses mais aussi, dans une moindre mesure, les substrats sableux (dunes vives et arrière-dunes) et les milieux anthropisés. Ces plantes ont toutefois besoin d'une assez grande quantité d'eau superficielle qu'elles entretiennent en produisant une litière acidifiante riche en matière organique qui retient l'eau par imbibition. Leur extension est limitée à l'intérieur des terres car elles ne résistent pas à des températures inférieures à -4°C. Sur le plan biologique, les griffes de sorcière présentent toutes les caractéristiques des espèces invasives : grande vigueur reproductive (production de très nombreuses graines : 1000 à 1800 par fruit chez C. edulis ; 650 à 750 chez C. aff. acinaciformis), modalités de reproduction variées (reproduction sexuée avec fécondation croisée ou non, reproduction asexuée par la productions de graines génétiquement identiques à la plante mère ou par la production de stolons), dispersion des graines optimisée (les graines endozoochores sont dispersées par les petits mammifères jusqu'à 100 m des individus parents puis par les fourmis) et grande vigueur végétative (notamment via des stolons à croissante rapide - jusqu'à 1m par an ! - qui permettent à un individu parent de couvrir rapidement une grande surface : 20m2 par individu en 10 ans en Californie), résistance au stress hydrique (succulence des feuilles).

Ces propriétés expliquent les nuisances écologiques occasionnées, en particulier l'élimination de la végétation autochtone par compétition pour l'occupation de l'espace. Cet effet est particulièrement flagrant dans les zones littorales méditerranéennes dans lesquelles les griffes de sorcière sont dans leur optimum écologique, notamment au niveau des substrats siliceux exposés embruns salés où se développe normalement une végétation halorésistante dominée par l'Immortelle stoechas (Helichrysum stoechas) et au niveau des dunes où elle peut entrer en compétition avec l'Oyat (Ammophila arenaria). Le pouvoir compétiteur est parfois si important que les Carpobrotus éliminent presque complètement les espèces indigènes, comme c'est le cas sur l'Ile Bagaud. Au final, les griffes de sorcière diminuent la richesse spécifique des espèces indigènes tout en modifiant la structure des communautés végétales en place (élimination préférentielle des thérophytes).

Face à ces nuisances, plusieurs moyens de lutte sont envisagés (moyens mécaniques, chimiques ou biologiques). Le plus efficace, semble-t-il, est l'arrachage manuel des plantes à condition de ne pas laisser de fragments sur place. Des tentatives d'éradication ont déjà été pratiquées en Corse et sur les Iles d'Hyères, mais ces opérations s'avèrent complexes et délicates du fait de la mise en jeu de réactions trophiques en chaîne. Sur les îles d'Hyères par exemple, BOURGEOIS et al. (2004) ont mis en évidence un fort pouvoir de colonisation des griffes de sorcière par l'intermédiaire des lapins et des rats dont les populations, nourries par les fruits de ces mêmes griffes de sorcière, ont largement augmenté. Face à l'impuissance de l'Homme à pouvoir contrôler la propagation des griffes de sorcière, voilà comment ces plantes sont passées du statut de curiosité exotique au pouvoir fixateur intéressant à celui de "peste écologique" !

Pour en savoir plus

  • FOURNIER Paul, Les 4 flores de France, Dunod 2001.
  • MULLER Serge, Plantes invasives en France, Publications scientifiques du MNHN, 2004.

 

David Busti, septembre 2012.

 


 

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