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La Ficaire, une fausse renoncule

Auteurs : Régis Thomas, David Busti et Margarethe Maillart ; Publication : David Busti

Lorsqu'on se promène au mois de mars ou aux premiers jours d'avril (selon que la saison est plus ou moins avancée ou que l'on est en plaine ou en montagne), alors que les bourgeons des arbres n'ont pas encore formé de feuille et que l'herbe est encore jaunie par endroit, il arrive de rencontrer quelques plantes qui montrent leurs premières fleurs. Dans les parties basses et humides du bois, au pied d'une haie ou au bord du fossé, on trouve souvent une petite plante à fleurs jaune d'or en forme de soleil et à feuilles en cœur : la Ficaire.

Morphologie d'une plante de Ficaire.
Sur cette plante récoltée au mois de mars, des jeunes racines tubérisées coexistent avec des plus anciennes, ces dernières apparaissant ridées. Des bulbilles en formation sont également visibles à l'aisselle des feuilles.
Ficaire-Plante2

 

Cette plante bien reconnaissable, qui n'est visible qu'en hiver et au printemps (elle passe le reste de l'année sous forme de racines chargées de réserves enfouies dans le sol), cultive un certain nombre de particularités :

  • Les fleurs et les feuilles sont voisines mais différentes de celles des renoncules, nos Boutons d'or communs ;
  • Le nom que les botanistes lui ont donné, fluctue entre Ficaire et Renoncule ;
  • Elle possède des tubercules souterrains et de petits tubercules aériens qui vont assurer sa végétation vivace et sa dissémination, respectivement.

La Ficaire, une intruse parmi les renoncules

Beaucoup de plantes de la famille des renoncules (Renonculacées) ne possèdent pas de pétales mais des sépales diversement colorés (sépales pétaloïdes) qui signalent la fleur. Les renoncules, genre type de la famille, possèdent, elles, 5 sépales et 5 pétales. La Ficaire possède une fleur typique avec seulement 3 sépales et un nombre plus élevé de pétales (6 à 12 pétales verdâtres dessous, jaune luisant dessus, et munis à la base d'une fossette nectarifère). Les fleurs de ficaire possèdent en outre de nombreuses étamines tournées vers l'extérieur (étamines extrorses) et un pistil composé de nombreux carpelles séparés, uniovulés et sans bec. Le pistil donne à maturité un fruit sec indéhiscent appelé polyakène.

Morphologie d'une fleur de Ficaire.
Ficaire-Fleur

 

Alors que les renoncules terrestres communes ont des feuilles à 3-5 lobes découpés caractéristiques, la Ficaire possède de petites feuilles en cœur luisantes à long pétiole portant une gaine à la base. Une renonculacée ressemble un peu à la Ficaire, le Populage des marais (Caltha palustris), mais s'en distingue par (1) des fleurs plus grosses à 5 sépales jaunes sans pétales, (2) des feuilles en cœur mais denticulées et (3) une situation en prairies humides, en bordure de ruisseaux ou de tourbières de pente.

Un nom scientifique fluctuant
1) Le nom français de Ficaire fait allusion à la forme des racines renflées, ressemblant (vaguement !) à une figue (Ficus en latin).
2) Linné (1707-1778) en avait fait une espèce de renoncule, d'où le nom de Ranunculus ficaria. Remarquons au passage l'imagination ou...l'humour des botanistes : Ranunculus en latin signifie petite grenouille, allusion au fait que plusieurs espèces poussent près de l'eau ou dans l'eau.
3) Quelques années plus tard, deux botanistes allemands, Conrad Moench (1744-1805) et Albrecht Roth (1757-1834) créent un genre nouveau (Ficaria) pour cette plante qui est en effet bien différente des renoncules typiques. Ils lui donne en outre un nom spécifique signalant qu'il s'agit d'une fausse renoncule : Ficaria ranunculoides.
4) En 1936, Fournier adopte dans sa flore un nom d'espèce différent du au botaniste anglais William Hudson (1730-1783) et traduisant la floraison printanière de la plante : Ficaria verna (vernus signifie printemps en latin).
5) Enfin, Guinochet (1978) et les publications ultérieures reviennent, en raison de la règle d'antériorité, au nom d'origine linnéen, nom seul valide aujourd'hui : Ranunculus ficaria.

 

Deux types d'organes tubérisés : racines et bulbilles

Lorsqu'on arrache une touffe de Ficaire, on trouve au pied un chevelu de racines un peu particulier. Certaines racines sont fines, blanches, ramifiées, banales. Elles ont un rôle dans l'absorption de la solution du sol. D'autres sont épaisses, brunes, renflées en massue : elles sont tubérisées et chargées de réserves. Certaines de ces racines tubérisées sont ridées et vidées de leurs réserves. Une coupe histologique de ces racines montre, à coté d'un cylindre central typique de racine (entouré d'un endoderme), que c'est le parenchyme cortical qui est hypertrophié. Un montage dans l'eau iodée, réactif de l'amidon, révèle que les cellules de ce parenchyme sont bourrées d'amyloplastes synthétisant l'amidon comme molécule de réserve.

Coupe histologique de racine tubérisée de Ficaire.
En haut : coupes montées dans l'eau iodée, avec détails du cylindre central.
En bas : coupes colorées au carmin-vert d'iode, avec détails du cylindre central.

Ficaire-lugol1 Ficaire-lugol3
Ficaire-carmino-vert1 Ficaire-carmino-vert3

 

A la fin de la floraison, on distingue à l'aisselle de certains pétioles de petits organes renflés de la taille d'un grain de blé, appelés improprement bulbilles. Ces bulbilles sont en fait des racines aériennes tubérisées (donc chargées de réserves) portant à leur extrémité un bourgeon. Ils se détacheront de la plante fanée et, entraînés par l'eau des averses, ils germeront un peu plus loin, assurant ainsi la dissémination de la plante. Ces organes de multiplication végétative jouent un rôle essentiel dans la reproduction de la plante puisque les fleurs sont stériles.

Un cycle de développement original

Contrairement à de nombreuses plantes de nos régions, le cycle de développement de la Ficaire présente une période d'activité végétative en hiver :

  • En été, la plante est au repos : il ne subsiste de l'appareil végétatif que les racines tubérisées souterraines. La tige souterraine (rhizome) porte un bourgeon dormant.
  • A l'automne a lieu le débourrement des bourgeons et la mise en place des racines absorbantes. Dès le mois de novembre, les premières feuilles percent le sol et la Ficaire devient visible.
  • Pendant l'hiver, la croissance se poursuit alors que les racines tubérisées se vident de leurs réserves et se rident (à ce stade, les racines tubérisées hydrolysent l'amidon et se comportent comme des organes sources qui assurent la croissance de la plante). A la sortie de l'hiver, de nouvelles racines tubérisées apparaissent.
  • Au printemps, les feuilles synthétisent des sucres qui s'accumulent dans les nouvelles racines en cours de tubérisation (à ce stade, les racines tubérisées se comportent comme des organes puits). Apparaissent ensuite les bulbilles et enfin les fleurs. Peu après la floraison, l'appareil végétatif aérien meurt, ne laissant au mois de mai que les nouvelles racines tubérisées qui assureront un nouveau cycle de végétation.
Cycle biologique de la Ficaire.
Ficaire-cycle-développement

 

Un cycle biologique sous contrôle de la température.
Les études menées par Jean-Claude COURDUROUX dans les années 1960 au laboratoire de botanique de Clermont-Ferrand ont montré que le cycle biologique de la Ficaire est sous la dépendance de la température. L'été, la Ficaire présente une période de dormance totale qui se prolonge tant que les températures restent élevées. A l'automne, des températures fraîches pendant une période prolongée (15°C maximum pendant au moins 10 à 12 semaines) sont nécessaires pour lever cette dormance estivale et pour la reprise de l'activité végétative.
La température agit également au moment de la tubérisation mais de manière plus complexe. Des basses températures pendant un temps assez long (au moins 12 semaines à 6°C) sont indispensables pour obtenir la tubérisation de Ficaire mais il faut également que des températures élevées succèdent au froid pour l'expliciter (2 semaines à 26°C suffisent). Les basses températures de l'hiver sont en fait nécessaires à l'induction d'une aptitude à la tubérisation alors que l'adoucissement des températures qui s'ensuit est indispensable au déclenchement brusque de la tubérisation à la sortie de l'hiver, une fois que l'aptitude à la tubérisation a été acquise.
Une étude tout aussi intéressante menée par par Jean LAGARDE au sein du même laboratoire a montré des exigences thermopériodiques inversées chez le Crosne du Japon (voir tableau comparatif dans notre article sur « Le cycle de vie du Crosne du Japon »).

 

Une plante toxique

D'une façon générale, la famille des Renonculacées jouit d'une fâcheuse réputation car presque toutes les espèces sont vénéneuses pour l'homme ou mauvaises fourragères pour le bétail. Heureusement, certaines, dont la Ficaire, ne le sont qu'à l'état frais, leur dessiccation entraînant une perte de toxicité.

Les Renonculacées sont toxiques à des degrés divers. Si les alcaloïdes des Aconits sont mortels, les composés de la Clématite, des Renoncules et de la Ficaire sont surtout rubéfiants par la présence de protoanémonine (la clématite était autrefois utilisée par les mendiants, qui se frottaient avec les feuilles fraîches, afin de rubéfier voire créer des plaies sur la peau, pour exciter la pitié des passants).  Formée à partir d'un précurseur glycosidique, la protoanémonine se transforme au séchage en anémonine, inactive. Cependant, à fortes doses, elle est très toxique, provoquant des vomissements, des diarrhées et de l'hématurie.

Bibliographie

  • BONNIER Gaston, Flore complète portative de la France et de la Suisse, 1909.
  • COSTE Abbé H., Flore descriptive illustrée de la France, Klincsieck, 1900.
  • COURDUROUX Jean-Claude, Tubérisation et biologie de la Ficaire, Bull. Soc. Fr. Physio. Veg., 4-1966.
  • FOURNIER Abbé Paul, Les quatre flores de France, Lechevalier, 1934-1940.
  • FROHNE Dietrich, Plantes à risques, Tech et Doc, 2009.
  • GUINOCHET Marcel, Flore de France, CNRS, 19873-1984.
  • RAMEAU Jean-Claude, Flore forestière française, IDF, 1989.

 

Régis Thomas, David Busti et Margarethe Maillart, mars 2011.

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