La récolte du pollen et du nectar par l'Abeille domestique
Avec l’arrivée du printemps, les premières fleurs offrent à l’Abeille domestique (Apis mellifera) leur nectar et leur pollen qui serviront de nourriture à toute la colonie, en particulier aux larves. Cette source de nourriture précieuse est récoltée par les butineuses, des ouvrières âgées de plus de 20 jours spécialisées dans cette fonction. Les fleurs, quant à elles, profitent des visites régulières de l’insecte car une petite partie du pollen non utilisée par l'Abeille pourra être transférée à d’autres fleurs, assurant ainsi leur fécondation. Il s’établit donc entre l'Abeille et la fleur pollinisée une véritable coopération, à savoir une interaction transitoire qui est avantageuse pour les deux espèces. Quelques observations de terrain permettront de se rendre compte que cette interaction n’est pas spécifique, les abeilles pouvant polliniser de très nombreuses espèces de fleurs. De plus, selon l’espèce considérée, on observera que les fleurs ne sont pas toutes butinées aux mêmes heures de la journée : certaines le sont plutôt en matinée (Colza, Marronnier d’Inde, Coquelicot, Pissenlit…), d’autres durant toute la journée (arbres fruitiers, Chou, Fraisier, Châtaignier, Trèfles, Romarin, Thym…), d’autres encore, mais plus rarement, l’après-midi (Jacinthe des bois, Ail des ours…).
Les activités de récolte en elles-mêmes sont permises par des adaptations au niveau des pattes et de l’appareil buccal. En venant récolter le nectar, l’Abeille emporte du pollen sur son corps qu’elle agglutine en pelotes par le mouvement coordonné de ses pattes. Il est courant d'observer chez une butineuse deux pelotes de pollen sur la face externe des tibias de la troisième paire de pattes (pattes P3 ou pattes métathoraciques). Le mécanisme de la récolte du pollen est le suivant : l’échancrure de la première paire de pattes (pattes P1 ou pattes prothoraciques) permet le nettoyage des antennes sur lesquelles le pollen se colle (le pollen des plantes entomophiles étant généralement gluant). Ensuite, les P1 rassemblent le pollen en boulettes qui sont transmise à la deuxième paires de pattes (pattes P2 ou pattes mésothoraciques) puis aux pattes P3. La face interne des tarses des P3 possède une brosse constituée de 10 rangées de poils raides, qui permet d’une part de récupérer les boulettes venant des P2 et, d’autre part, de récupérer le pollen sur le reste du corps. Le pollen est ensuite placé dans les corbeilles des P3 puis tassé par les P2. Les pelotes ainsi formées sont retenues dans les corbeilles grâce à une rangée de soies raides recourbées (râteau) qui borde chaque corbeille. Le nectar, quant à lui, est prélevé grâce à un appareil buccal spécialisé de type lécheur-suceur. Au moment de la visite, l’Abeille introduit sa langue (ou proboscis) au fond du tube de la corolle (ou d'un éperon nectarifère, s'il n'est pas trop long, ou encore au niveau d’un nectaire). La langue, recouverte de poils sur toute sa longueur et à bords repliés en gouttière formant un canal alimentaire, retient le liquide à la manière d’un pinceau au niveau des poils et l’aspire via le canal alimentaire sous l’effet des mouvements de l’hypopharynx. Un deuxième canal alimentaire, formé par le rapprochement des maxilles et des palpes labiaux autour de la langue, permet en outre l’aspiration d’une grande quantité de liquide (eau, nectar).
Les visites régulières des fleurs permettent aux butineuses d’une colonie de récolter dans nos régions tempérées une centaine de kilos de nectar et 30 à 50kg de pollen, du début du printemps jusqu'à l'automne. Cette efficacité de récolte repose sur une coadaptation remarquable entre l’Abeille et la fleur. Les fleurs possèdent un certain nombre de caractéristiques qui attirent les abeilles (couleurs vives, motifs variés, zygomorphie, guides nectarifères, émissions de parfums). Par ailleurs, elles récompensent les visiteuses en leur offrant du pollen (riche en protéines) et du nectar, un liquide riche en eau et en sucre (saccharose surtout) s’accumulant généralement au fond du tube floral. Le nectar peut aussi s'accumuler dans un appendice spécialisé de la corolle, l’éperon, ou être produit au niveau de nectaires situés à la base de certaines pièces florales (pétales : renoncule ; étamines : violette) ou insérés directement sur le réceptacle sous la forme de petites boules (Colza, Saules) ou d’un disque à la base des étamines (Erables, Fusain). La combinaison des signaux visuels et olfactifs sont essentiels dans l’attraction : sans eux, il est peu probable qu’une abeille visite une fleur, même si une récompense l’attend ! Les abeilles, de leur côté, possèdent des organes sensoriels leur permettant de voir, de goûter et de sentir les fleurs. La physiologie sensorielle de l’Abeille a été étudiée en détail par K. VON FRISCH au XXème siècle. La vision, permise par les yeux composés de l’Abeille, présente un spectre décalé par rapport à celui de l’Homme : l’Abeille voit dans les ultraviolets mais est insensible au rouge. La vision dans les ultraviolets permet aux abeilles de percevoir les guides nectarifères (lignes sur les pétales rayonnant du centre de la fleur) ainsi que les zones contrastées situées généralement à la base des pétales (ex. Renoncule), ce qui les attire vers la source de nectar. Les abeilles sont par ailleurs capables de goûter tout ce qu’elles touchent : contrairement à l’Homme, les récepteurs du goût ne sont pas seulement situés au niveau de la cavité buccale et de la langue (goût oral), mais aussi sur les antennes (goût antennaire) et les pattes (goût tarsal) ! Le seuil de sensibilité au goût sucré est faible (on peut considérer qu’il est avantageux pour l’abeille d’ignorer les nectars trop dilués) mais ce seuil varie en fonction de l’état de nutrition de l’abeille (une abeille affamée depuis plusieurs heures reconnaît le goût sucré d’une solution très diluée de saccharose). Enfin, les antennes jouent également le rôle de nez qui leur permet de potentiellement distinguer des centaines, voire des milliers d’odeurs différentes.
Au final, le comportement de butinage est conditionné par une foule de stimuli visuels, olfactifs et gustatifs qui agissent sur la fréquentation des fleurs et les activités de récolte. Les butineuses peuvent potentiellement butiner de nombreuses espèces de fleurs mais, suite à une phase d’apprentissage, elles restent généralement fidèles à un seul type de fleur. Il est rare qu’elles visitent plusieurs fleurs, comme l’atteste l’examen de la composition de leurs pelotes. Les facteurs environnementaux (température, éclairement, hygrométrie, vent, pluie, état électrique de l’air) peuvent également conditionner les activités de récolte au cours d’une journée, l’un ou plusieurs de ces facteurs pouvant devenir limitant (par exemple, température inférieure à un certain seuil ; vitesse du vent supérieure à 30km/h). Une meilleure connaissance du comportement de butinage est essentielle pour assurer la reproduction des espèces cultivées, l’Abeille domestique étant indispensable à la pollinisation de plantes fourragères (comme les Trèfles) et diverses plantes alimentaires (telles que la Tomate, le Pois et les céréales) ou servant à produire de l’huile (Tournesol) ou des fibres (Cotonnier). En ce sens, les services rendus par l'Abeille domestique sont considérables. Si de nombreuses études ont démontré que le déclin de certaines populations locales ou régionales d'abeilles ont pu impacter l'efficacité de reproduction de certaines plantes cultivées, une étude récente de la FAO (Food and agriculture Organization) datant de 2009 a montré que l'effectif global d'abeilles a augmenté de 45% durant la dernière moitié du siècle dernier, en relation avec la mondialisation économique. Cependant, la même organisation a montré durant la même période une augmentation plus rapide (300%) de la part d'agriculture dépendant de la pollinisation animale, ce qui laisse présager des problèmes de pollinisation pour les cultures futures.
Pour en savoir plus
- AIZEN A. & L. HARDER (2009). The Global Stock of Domesticated Honey Bees Is Growing Slower Than Agricultural Demand for Pollination, Current Biology 19: 915–918.
- GOULD J.-L. & C. GRANT GOULD, Les Abeilles : comportement, communication et capacités sensorielles, Belin, Pour La Science, 1993.
- PESSON P. & J. LOUVEAUX, Pollinisations et productions végétales, INRA, 1984.
- WINSTON M., The biology of the Honey bee, Harvard University Press,1991.
David Busti, mai 2012
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