Le Tarin des aulnes et les avantages et inconvénients de la vie en groupe
Les premières véritables vagues de froid commencent actuellement à toucher la France et les mangeoires devraient faire leur apparition dans les jardins. Régulièrement agrainées, celles-ci ont de bonnes chances d’attirer un groupe de Tarins des aulnes (Carduelis spinus). En France, ce passereau niche essentiellement dans les pessières montagnardes mais on le retrouve dans ces mêmes forêts dans le nord de l’Europe. Comme tous les Fringillidés (famille comprenant notamment le Pinson des arbres, Fringilla coelebs) du Paléarctique, il s’agit d’une espèce majoritairement granivore qui utilise son bec conique et assez fort pour décortiquer les cônes d’Epicéa (et parfois de Sapin et de Pin) afin d’en extraire les graines. Comme d’autres passereaux fréquentant les forêts de conifères et consommant leurs graines (le Bec-croisé des sapins, Loxia curvirostra par exemple), on constate qu’en cas de pénurie de leur ressource alimentaire principale, ces oiseaux ne se reproduisent pas ou peuvent même retarder leur période de reproduction de façon importante, profitant ainsi des graines d’herbacées plus tardives.
Chez cette espèce, il est également intéressant de remarquer que la niche écologique change entre la période de reproduction et la période d’hivernage : en effet, en hiver, le Tarin des aulnes migre vers des altitudes ou des latitudes plus basses et se nourrit essentiellement des fructifications d’aulnes glutineux (Alnus glutinosa) si bien qu’on le retrouve souvent sur les rives des cours d’eau où cet arbre pousse fréquemment. Ce changement de régime alimentaire sur les lieux d’hivernage est également associé à un changement de comportement. En effet, sur les lieux de reproduction, les oiseaux défendent un petit territoire autour du nid alors qu’en hiver, les Tarins forment des bandes de quelques dizaines d’individus qui se déplacent toujours ensemble.
La vie en groupe présente un certain nombre d’avantages au premier rang desquels figure un plus faible risque de prédation. Le principal prédateur des Tarins en hiver est l’Epervier d’Europe (Accipiter nisus), un rapace spécialisé dans la capture des petits oiseaux. Des études ont montré chez un autre passereau, la Mésange charbonnière (Parus major) que le temps passé à guetter la présence de prédateurs était inversement corrélé à la taille du groupe présent autour de la mangeoire. La détection de nourriture pendant la période froide est aussi favorisée par le nombre. Cependant, vivre avec de nombreux congénères présente également des contraintes notamment lorsque la ressource est limitante. Des conflits peuvent éclater mais on constate plus souvent une soumission de certains individus par rapport à d’autres qualifiés de dominants avant l’éclatement d’un conflit réel. Une équipe de biologistes du comportement s’est intéressée aux marqueurs de la dominance chez le Tarin des aulnes. Pour cela, ces chercheurs ont réalisé des expériences de choix classiques en biologie du comportement. Ces tests consistent à proposer deux alternatives à un individu, ici le choix d’aller s’alimenter sur une source de nourriture à côté de laquelle se trouve une cage contenant ou pas un autre individu dont les caractéristiques peuvent varier. Les Tarins mâles privilégient toujours de s’alimenter à proximité d’une cage contenant une femelle, ce que les auteurs mettent en relation avec leur comportement grégaire. En revanche, ils préfèrent systématiquement s’alimenter à côté d’une cage vide lorsque le mâle qui se trouve dans l’autre cage possède une bavette noire plus étendue. On peut donc penser que la taille de la tache noire au niveau de la bavette est un signal de dominance à l’intérieur du groupe et qu’il permet d’éviter de réels conflits coûteux en énergie. De façon surprenante, ce n’est pas un signal sexuel puisqu’une autre étude utilisant des protocoles similaires montre que c’est la taille de la barre alaire jaune qui détermine le choix des femelles et que qu’elle n’est pas corrélée à la taille de la bavette noire. On observe cependant souvent un revers de médaille au statut de dominant dans un groupe. La dominance implique en effet fréquemment un coût énergétique important qui se traduit par un métabolisme plus élevé. Du point de vue évolutif, cette conséquence empêche les individus soumis de tricher c'est-à-dire d’arborer des signaux de dominance alors qu’ils ne sont pas capables de rivaliser physiquement avec leurs adversaires. Chez le Tarin des aulnes, ce sont au contraire les individus soumis qui ont le métabolisme le plus élevé ce qui semble indiquer que ce statut génère un stress plus important que celui de dominant.
Pour en savoir plus
- SENAR et CAMERINO (1998). Status signalling and the ability to recognize dominants: an experiment with siskins (Carduelis spinus). Proceedings of the Royal Society of London B vol 265.
- SENAR, POLO, URIBE et CAMERINO (2000). Status signalling, metabolic rate and body mass in the siskin : the cost of being a subordinate. Animal behaviour vol 59.
- SENAR, DOMENECH et CAMERINO (2005). Female siskins choose mates by the size of the yellow wing stripe. Behavioral Ecology and Sociobiology vol 57.
Jean-Pierre Moussus, février 2012.