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Renoncule des glaciers et Dryade à 8 pétales : deux espèces arctico-alpines

Auteur et publication : David Busti
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Renoncule des glaciers (Ranunculus glacialis) en fleurs.
Les fleurs de la Renoncule des glaciers sont typiquement roses à purpurines au moment de la floraison (présence d'anthocyanes) et blanches après épanouissement. La plante, haute de 8 à 15 cm, est vivace comme l'atteste la présence à sa base de feuilles flétries des années précédentes. Le fait que la souche restée dans le sol pendant l'hiver puisse rapidement mettre en place une nouvelle unité de végétation après le retrait des glaces, constitue une adaptation à la courte période de végétation des hautes altitudes. (col du Galibier, Alpes, juillet 2004)

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Renoncule des glaciers (Ranunculus glacialis) en fleurs.
Le bord des pétales des jeunes fleurs est rose alors que les fleurs épanouies sont nettement blanches. La Renoncule des glaciers est une espèce pionnière qui colonise ici un éboulis schisteux à plus de 2600m d'altitude. (col du Galibier, Alpes, juillet 2004)

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Fleurs épanouies de Renoncule des Glaciers (Ranunculus glacialis).
Les feuilles, un peu charnues, sont de deux types : celles qui émergent de la souche sont pétiolées et trois fois divisées alors que les feuilles caulinaires sont sessiles et une fois divisées. (col du Galibier, Alpes, juillet 2004)

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Détail d'une fleur épanouie de Renoncule des glaciers (Ranunculus glacialis).
Les fleurs comportent 5 sépales verts dressés et velus, 5 grands pétales élargis au sommet avec une fossette nectarifère à la base qui attire les rares insectes pollinisateurs. Comme chez toutes les renoncules, les étamines, très nombreuses, extrorses, sont disposées sur plusieurs tours d'hélice. Au centre, le pistil comporte de nombreux carpelles séparés donnant un fruit de type polyakène à maturité. Les ovaires lisses et comprimés de chaque carpelle sont surmontés d'un bec (stigmate) réceptionnant le pollen. (col du Galibier, Alpes, juillet 2004)

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Dryade à 8 pétales (Dryas octopetala) en fleurs.
Cette photo a été prise à environ 1900m d'altitude dans le sous-bois rocailleux d'une pinède à crochets sur calcaire. La plante, haute de 5 à 15 cm, se présente sous la forme d'un sous-arbrisseau prostré portant des feuilles allongées à grosses dents très caractéristiques. (col de l'Izoard, Alpes, juillet 2004)

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Dryade à 8 pétales (Dryas octopetala).
  Cette espèce forme dans les pelouses des tapis parfois très denses, comme ici dans cette pelouse subalpine d'adret du col du Lautaret. La couleur blanc argenté sur le revers des feuilles est due à la présence de poils blancs qui limitent la transpiration foliaire notamment dans les zones ventées. (col du Lautaret, Alpes, juillet 2004)

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Détail d'une fleur de Dryade à 8 pétales (Dryas octopetala).
Contrairement à la Renoncule des glaciers, la fleur possède typiquement 8 (parfois 7 ou 9) pétales blancs ovales, d'où son nom. (col de l'Izoard, Alpes, juillet 2004)

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Détail d'un fruit en formation de Dryade à 8 pétales (Dryas octopetala).
Comme la Renoncule des glaciers, le fruit de type polyakène de la Dryade à 8 pétales est composé de plusieurs akènes séparés. Cependant, les styles surmontant les akènes poursuivent leur croissance pour donner des arêtes plumeuses qui s'écartent à maturité pour former une boule chevelue que le vent dissémine rapidement.

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Sauriez-vous différencier sur ces photos prises dans les Alpes françaises, la Renoncule des glaciers (Ranunculus glacialis) de la Dryade à 8 pétales (Dryas octopetala) ? Bien que ces deux espèces présentent des fleurs semblables (fleurs épanouies blanches possédant en leur centre de nombreuses étamines jaunes et un pistil constitué de plusieurs carpelles séparés donnant un fruit sec composé de type polyakène) et qu'elles croissent toutes les deux dans les Alpes à des altitudes élevées, elles présentent un certain nombre de caractéristiques morphologiques et écologiques qui permettent de les identifier à coup sûr.

La Renoncule des glaciers est une plante herbacée de la famille des Renonculacées dont les fleurs comportent typiquement 5 pétales, alors que la Dryade à 8 pétales est un sous-arbrisseau prostré (les tiges sont ligneuses et rameuses à leur base) de la famille des Rosacées dont les fleurs possèdent en général 8 pétales, d'où son nom d'espèce. De plus, les fleurs de la Renoncule des glaciers sont roses à purpurines au moment de la floraison avant de blanchir à maturité. Les feuilles des deux espèces sont également bien distinctes : celles de la Renoncule des glaciers sont divisées plusieurs fois alors que celles de la Dryade à 8 pétales sont simples, allongées, grossièrement dentées et blanc argenté sur le revers du fait de la présence de poils blancs. Enfin, contrairement à la Renoncule des glaciers, les akènes (fruits secs indéhiscents) de la Dryade à 8 pétales sont surmontés à maturité de longues arêtes plumeuses qui assurent la dissémination des akènes par le vent (anémochorie). Sur le plan écologique, ces deux espèces présentent des différences notables. La Renoncule des glaciers est une espèce pionnière acidiphile de la très haute montagne qui croît dans les Alpes généralement au-dessus de 2300m d'altitude (étages alpin à nival) dans les éboulis siliceux, les moraines, les fentes de rochers et au voisinage des glaciers. Elle atteint des records d'altitude dans les Alpes puisqu'on la retrouve parfois au-dessus de 4000m, là où seulement une douzaine d'autres espèces de plantes à fleurs peuvent survivre, parmi lesquelles des saxifrages (dont Saxifraga bifolia), des androsaces, des gentianes et des draves. La Dryade à 8 pétales est également une espèce pionnière, mais elle croît à des altitudes plus basses, de 1200 à 2500m (étages montagnard et subalpin), sur des substrats calcaires (et parfois schisteux), dans les rochers, les pelouses rases d'adret et les forêts claires à substrat rocailleux.

Sur le plan adaptatif, ces deux espèces sont dites tolérantes au stress car elles présentent des adaptations aux conditions de vie extrêmes régnant aux hautes altitudes : souche persistant dans le sol (Renoncule des glaciers) ou rameaux restant sous la couverture neigeuse (Dryade à 8 pétales) pendant l'hiver à l'abri des variations brusques de températures ; floraison et maturation des graines rapide en réponse à une période de végétation très courte ; tolérance aux basses températures ; feuilles limitant l'effet desséchant du vent (poils blancs sur le revers des feuilles chez la Dryade à 8 pétales, feuilles charnues chez la Renoncule des glaciers) ; photoprotection vis-à-vis des très fortes intensités lumineuses, ces dernières pouvant conduire à une photooxydation des molécules biologiques (avec formation de radicaux libres dérivés de l'oxygène toxiques) et à une photoinhibition (inhibition de l'activité photosynthétique induite par la lumière). Concernant ce dernier point, P. STREB et collaborateurs (2005) ont récemment montré que la Renoncule des glaciers est la seule plante alpine connue qui accumule dans ses feuilles une quantité importante de PTOX (Plastid Terminal Oxydase), une protéine chloroplastique qui semble protéger la chaîne photosynthétique de l'excès d'énergie lumineuse excitatrice en captant le surplus d'électrons à haut potentiel énergétique pour réduire l'oxygène.

La Renoncule des glaciers et la Dryade à 8 pétales sont typiquement des espèces arctico-alpines, c'est-à-dire qu'elles sont à la fois présentes dans les régions arctiques ou subarctiques (Islande, Scandinavie, toundras arctiques pour la Renoncule des glaciers, notamment au Groenland où elle peut remonter à une distance record de 1300 km du pôle Nord ; Irlande, Grande Bretagne, Scandinavie et toundras arctiques pour la Dryade à 8 pétales) et dans les hautes montagnes des régions tempérées (Alpes, Pyrénées, Carpates, Himalaya pour la Renoncule des glaciers ; Alpes, Pyrénées, Massif central, Apennins, Balkans, Carpates pour la Dryade à 8 pétales). La disjonction des aires de distribution de ces deux espèces laisse à penser qu'elles occupaient lors des dernières périodes glaciaires des aires beaucoup plus étendues qu'actuellement et qu'on devait les retrouver dans les plaines tempérées actuelles. Cela a été confirmé pour la Dryade à 8 pétales par l'existence de restes fossiles (pollens) retrouvés dans de nombreuses stations du nord de l'Europe (nord de l'Allemagne, des Pays-bas et de la Pologne ; plaines du Danemark et de la Scandinavie) et quelques stations du centre de l'Europe (la vaste aire de distribution passée de la Dryade à 8 pétales a d'ailleurs conduit certains auteurs à qualifier de « Dryas » une partie du Tardiglaciaire). Plus récemment, des analyses génétiques menées par I. SKREDE et collaborateurs (2006) sur 52 populations eurasiennes de Dryas octopetala ont permis de séparer ces populations en deux grandes lignées et de suggérer que la recolonisation postglaciaire s'est probablement effectuée à partir de deux zones refuges glaciaires, l'une située dans le sud de l'Europe et l'autre au nord-est de l'Europe. Ainsi, le réchauffement climatique qui a suivi la dernière période glaciaire a conduit au recul des glaciers de l'arc alpin et du nord de l'Europe, permettant à ces espèces de recoloniser les zones arctiques et les régions montagneuses tempérées.

Si le réchauffement climatique se poursuit, l'avenir de la Renoncule des Glaciers dont l'aire d'extension est plus restreinte que celle de la Dryade à 8 pétales, pourrait être compromis, notamment en Finlande où il a été observé qu'elle n'arrive plus à coloniser les landes d'altitude. Les travaux de J. WAGNER et collaborateurs (2008) menées sur des populations autrichiennes de Renoncules des glaciers de très hautes altitudes (3400m), ont montré que la capacité de colonisation des plantes est bloquée vers le haut par les conditions stressantes du milieu. En effet, la croissance est ralentie et le temps de production des graines peut être jusqu'à doublé par rapport aux populations de plus basses altitudes (2700 et 2900m), si bien que le risque pour les graines de ne pas arriver à maturité à temps est beaucoup plus important. Inversement et de manière assez curieuse, les travaux de O. TOTLAND et collaborateurs (2002) ont montré que, contrairement aux autres espèces arctico-alpines, les populations naturelles norvégiennes de Renoncules des glaciers sont insensibles à toute hausse de température : la croissance, la date de début de floraison (en juillet) et la production de graines ne sont pas (ou très peu) modifiées en réponse à un réchauffement artificiel, ce qui témoigne d'une faible capacité d'accommodation de la Renoncule des glaciers face à une hausse de température. Ce résultat donne une explication au fait que la niche écologique de cette espèce soit strictement limitée aux reliefs très élevés, mais il laisse aussi supposer qu'en cas de réchauffement climatique, la Renoncule des glaciers serait très peu compétitive face à une invasion de son aire de distribution par des espèces de plus basse altitude qui présentent une vigueur végétative et des capacités reproductives plus fortes.

Remerciements

L'auteur remercie vivement Sabine Bouché-Pillon pour les trois clichés illustrant cet article.

Pour en savoir plus

  • COSTE H., Flore descriptive et illustrée de la France de la Corse et des contrées limitrophes, Librairie des Sciences et des Arts, 1937.
  • OZENDA P., Végétation du continent européen, Delachaux et Niestlé, 1994.
  • SKREDE I. et coll. (2006). Refugia, differentiation and postglacial migration in arctic-alpine Eurasia, exemplified by the mountain avens (Dryas octopetala L.). Molecular Ecology, Vol. 15, Issue 7: 1827-1840.
  • STREB P. et coll. (2005). Evidence for alternative electron sinks to photosynthetic carbon assimilation in the high mountain plant species Ranunculus glacialis. Plant, Cell and Environment, 28: 1123-1135.
  • TOTLAND O. et coll. (2002). Effects on température and date of snowmelt on growth, reproduction, and flowering phenology in the arctic/alpine herb, Ranunculus glacialis. Oecologia 133: 168-175.
  • WAGNER J. et coll. (2010). Ranunculus glacialis L.: successful reproduction at the altitudinal limits of higher plant life. Protoplasma 243:117-128.

 

David Busti, janvier 2012.

 


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