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Le crosne : histoire d’un petit légume racine qui revient à la mode

Auteurs : Régis Thomas, Margarethe Maillart et David Busti ; Publication : David Busti
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Le Crosne du Japon (Stachys affinis) est un petit légume racine (nom générique pour tous les légumes qui poussent en terre) originaire de la Chine septentrionale (Mongolie intérieure, Shanxi, Xinjiang). La plante fut introduite et cultivée au Japon d’où elle a été importée en Europe à la fin du XIXème siècle. Venue en France en 1882, elle fut rapidement cultivée en grand puis tomba peu à peu dans l’oubli à la fin du XXème siècle.

Depuis quelques années, le Crosne du Japon réapparaît à nouveau sur les marchés d’hiver mais également en magasin, prêt à être cuisiné, ce qui dispense le consommateur du fastidieux nettoyage d’antan, où les tubercules étaient secoués et frottés dans un torchon avec du gros sel. Malgré un prix qui reste élevé, il revient à la mode dans nos assiettes. Internet propose des dizaines de recettes à base de crosne, plus originales les unes que les autres !

Tubercule de Crosne du Japon en vue latérale et en coupe.
La morphologie du tubercule est commentée dans notre précédent article « Le cycle de vie du Crosne du Japon ».
Crosne-tubercules.jpg

 

Crosne, le nom d’un village de la banlieue parisienne

L’histoire du crosne est relatée avec précision par Désiré BOIS, professeur au Muséum d’Histoire Naturelle de Paris, qui reçut les premiers tubercules en 1882 :
« L’introduction de ce Stachys en Europe remonte à l’année 1882. Nous l’avions trouvé indiqué dans les livres, parmi les plantes alimentaires de la Chine, et il figurait sur une liste des desiderata qui fut adressée sur la demande de M. Paillieux et de moi-même, par la société nationale d’acclimatation, à M. Bourée, notre ministre à Péquin. Une boite contenant les rhizomes de cette plante parvint à la société d’acclimatation au printemps 1882 ; elle avait pour expéditeur le Dr Bret-Schneider, médecin de la légation russe à Pékin. Cette botte nous fut remise dès son arrivée, et je pus extraire de son contenu, qui avait en grande partie pourri pendant le voyage, quelques tubercules à peu près sains qui furent plantés dans le jardin de M. Paillieux, à Crosne. Dès la première année, chacun d’eux donna une abondante récolte et, l’année suivante, nous étions en possession d’une telle quantité de tubercules que nous pûmes étendre nos cultures pour les développer ensuite. C’eût été le moment de mettre le légume dans le commerce si mon excellent collaborateur et ami avait désiré réaliser un bénéfice quelconque ; mais il se garda de procéder ainsi. Pour être sûr que le nouveau légume serait tout de suite vendu bon marché aux consommateurs, il prit le parti de se faire lui-même producteur et vendeur. Il loua quelques pièces de terre autour de son jardin, y planta des Stachys et s’assura dès la fin de l’hiver 1886-1887, une récolte d’environ 3 000 kilogrammes. Convaincu que le nom de Stachys serait difficilement adopté par le public, nous donnâmes au tubercule celui de Crosne, nom du village où la plante avait été cultivée pour la première fois en Europe, et d’où elle s’est ensuite propagée par des dons aux établissements scientifiques et aux particuliers de France et de l’étranger. Brébant, le grand restaurateur parisien, reconnut les mérites du nouveau légume, et l’admit sur sa carte du jour en le faisant entrer dans la salade japonaise, dont la recette venait d’être plaisamment donnée au théâtre dans une pièce d’Alexandre Dumas fils : Francillon. Les amateurs devinrent de plus en plus nombreux et, en 1888, les récoltes furent insuffisantes pour répondre aux demandes qui parvenaient à Crosne de tous côtés. En 1889, les commissaires aux halles de Paris commencèrent à recevoir et à vendre une grande quantité de tubercules, quantité qui, depuis lors, alla en augmentant chaque hiver… »

Crosne, nom du village qui a donné son nom au tubercule de crosne.
Crosne était à l’époque un village de 500 habitants situé quelques kilomètres à l’est d’Orly, près de la rive droite de la Seine. C’est actuellement une ville de l’Essonne possédant 9000 habitants. Désiré Bois et Auguste Paillieux y ont chacun une rue à leur nom. (D'après ARVY & GALLOUIN, Légumes d'hier et d'aujourd'hui)
Ville de crosne.jpg

 

Un légume racine facile à cultiver

La culture du Crosne du Japon se pratique dans les régions tempérées. En France, elle a lieu dans le Val-de-Loire, en Bretagne, en Bourgogne, en Picardie et en région parisienne. Une terre siliceuse et légère (un peu sablonneuse ou bien ameublie) pour faciliter l’arrachage, convient.

La plantation a lieu en février-mars. Le plus souvent, on plante des tubercules (1 kg en contient 500) par 3-4 en poquets, à 10cm de profondeur, espacés de 40cm en tous sens. Début septembre, un buttage est préconisé pour favoriser la formation des tubercules.

La récolte a généralement lieu en octobre-novembre, dès que les feuilles et les tiges se dessèchent, soit 200 à 240 jours après la plantation. Elle est effectuée comme pour les pommes de terre avec une bêche-fourche : en faisant levier avec le manche, on peut soulever délicatement la terre puis prélever les tubercules. Il est conseillé de les laver rapidement afin d’éviter que la terre sèche et endommage leur peau très fine. La mécanisation de la récolte permet de diminuer le prix de vente qui reste, malgré tout, élevé.

Un tubercule contenant des réserves glucidiques solubles

L’analyse d’un tubercule frais de crosne est donnée par le tableau ci-dessous.

Composition d'un tubercule de Crosne du Japon.
Le tableau donne les valeurs nutrionnelles moyennes pour 100 grammes de tubercules frais. (D'après ARVY & GALLOUIN, Légumes d'hier et d'aujourd'hui)
Energie
75 kcal (314 kJ)
Protides
Lipides
Glucides
Fibres (cellulose)
3 g
0,2 g
17 g
0,7 g
Eau
Sels minéraux
Vitamines
78 g
1 g
++

 

Il montre une faible quantité de protides (3%) encore moins de lipides (0,2%), un peu de fibres (0,7%) et, bien sûr, des glucides solubles qui constituent l’essentiel des réserves (17%). L’eau, abondante, entre pour près de 80% dans la composition. Curieusement, la molécule glucidique la plus abondante n’est pas le saccharose, forme dominante du transport des glucides dans la plante et substance de réserve chez la betterave à sucre et la canne à sucre, mais le stachyose, molécule qui doit son nom à sa présence chez les Stachys (Epiaires).

Formule chimique du stachyose.
Stachyose-formule.jpg 

 

Le stachyose est un tétraoside constitué par la liaison de 4 molécules d’oses (un fructose, un glucose et 2 galactoses). C’est une petite molécule soluble dans l’eau qui est stockée dans la vacuole, le compartiment hydraté de la cellule. Notons que le Salsifis, le Topinambour, et l'Artichaut, trois plantes de la grande famille des Astéracées, possèdent également une molécule de réserve soluble dans la vacuole, l’inuline, mais celle-ci est constituée d'une centaine de monomères de fructose si bien qu'elle est beaucoup plus grosse.

Le stachyose, une molécule au goût de noisette difficile à digérer
C'est le stachyose qui donne au crosne son goût de noisette rappelant le Salsifis, le Topinambour ou l’Artichaut. Les Anglais le dénomment d’ailleurs chinese artichoke.
Remarquons que si notre digestion sait transformer l’amidon en glucose, grâce à différentes enzymes que nous fabriquons, ce n’est pas le cas du stachyose et de l'inuline, deux molécules mal digérées par notre tube digestif. Ce sont alors les bactéries qui s’en chargent mais en produisant une certaine quantité de gaz pouvant être source de flatulences désagréables.

 

Un petit légume qui revient dans nos assiettes

Le nettoyage des crosnes est la première étape avant toute consommation. Bien que vendus prélavés, il est nécessaire de les nettoyer une dernière fois, opération réputée longue et fastidieuse qui explique, avec le prix élevé, que peu de gens se risquent à acheter des crosnes. Voici trois méthodes de nettoyage :

  • En général, on recommande de les mettre dans un linge avec du gros sel, et de les frictionner en se débrouillant comme on peut (en secouant en roulant et en frottant…) ;
  • D’autres préfèrent placer 200 à 300 grammes de crosnes et quatre cuillerées à soupe de gros sel dans un bocal d’un litre fermé, et de secouer énergiquement ;
  • Nous conseillons une méthode plus simple et plus rapide qui consiste à les laisser tremper quelques minutes dans l’eau, puis les frotter quelques secondes par poignée sous le robinet entre les deux mains. C’est en général bien suffisant. S’il reste quelques constrictions avec un peu de terre, il suffit de l’enlever avec l’ongle sous un filet d’eau.

La cuisson se fait dans l’eau salée frémissante durant 5 à 10 minutes. Cette méthode est préférable à la cuisson vapeur, car elle permet de goûter pour vérifier le degré de cuisson. Les crosnes doivent rester un peu ferme, « al dente ».

Passons maintenant à la préparation. Après les avoir égouttés, on peut les consommer tel quel en salade, à la poêle (sautés dans un peu de beurre ou d’huile d’olive, en les faisant colorer à peine, ou sautés avec un peu de crème), cuisinés au four (avec quelques lamelles de beurre et un peu de chapelure ou avec un roux au jus de viande et gruyère gratiné) ou avec toute autre préparation !

La recette traditionnelle de Charlotte PAILLIEUX
Charlotte PAILLIEUX, arrière-arrière petite fille de Nicolas Auguste PAILLIEUX, un des initiateurs de la cuture du Crosne du Japon en France, perpétue la recette de son lointain aïeul pour les fêtes de fin d'année : « Pour la recette, celle que je trouve la plus goûteuse est de les nettoyer dans un torchon avec du gros sel afin d’enlever les petites peaux et salissures, puis de les blanchir à l’eau bouillante 10 à 15 minutes suivant la quantité et de les faire ensuite revenir au beurre avec des échalotes et une gousse d’ail hachée, et de parsemer le tout de persil plat frais ciselé ! ».

 

Remerciements

Les auteurs remercient Monsieur CHEVALIER, maraîcher à Yssingeaux (Haute-Loire), qui a bien voulu nous procurer des échantillons de crosnes ainsi que Monsieur René BOUDOT pour nous avoir transmis la recette de Charlotte PAILLIEUX.

Pour en savoir plus

  • ARVY Marie-Pierre & GALLOUIN François, Légumes d'hier et d'aujourd'hui, Belin, 2007.
  • BOIS Désiré, Les plantes alimentaires chez tous les peuples et à travers les âges, Tome 1 : phanérogames légumières, Lechevalier, 1927.
  • GARRETT Réginald & Charles GRISHAM, Biochimie, DeBoeck Université, 2000.
  • GUIGNARD Jean-Louis et Collaborateurs, Abrégé de phytochimie, Masson, 1985.
  • La recette du dredi !, un site où vous trouverez des informations sur la culture du crosne et ses utilisations en cuisine.


Régis Thomas, Margarethe Maillart et David Busti, mars 2012.

 


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