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De l'origine du succès de la Renouée du Japon

Auteurs : Régis Thomas, Noëlie Maurel, Jean-Pierre Moussus et David Busti ; Publication : David Busti
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En France, la Renouée du Japon (Fallopia japonica) trouve ses lieux de prédilection dans les zones alluviales des cours d'eau, où la bonne alimentation en eau et la richesse du sol en éléments minéraux lui permettent d'avoir une croissance et une compétitivité optimales, conduisant à des peuplements monospécifiques étendus appelés « Reynoutriaies » ou « Fallopiaies ». Elle se développe également, dans des conditions moins favorables, dans des milieux rudéralisés comme les talus et bords de routes, les friches industrielles et les berges aménagées. Elle peut en outre résister à une certaine sécheresse grâce à ses rhizomes étendus et profonds.

La Renouée du Japon présente sur les plans biologique et génétique un certain nombre d'atouts qui lui ont permis de devenir une espèce invasive dans les milieux où elle a été introduite (voir à ce sujet notre précédent article "La Renouée du Japon à la conquête du Monde"). Toutefois, l'espèce n'est pas invasive dans son milieu naturel et il existe même une variété de Renouée du Japon, Fallopia japonica var compacta, qui occupe une niche écologique sensiblement différente, à savoir les substrats nus des pentes volcaniques. Comment expliquer alors que la Renouée du Japon se propage plus rapidement dans son aire d'introduction (au point de devenir invasive) que dans son aire d'origine ?

La Renouée du Japon dans son aire naturelle.
A gauche : La variété de plaine, Fallopia japonica var japonica, occupe les mêmes habitats que la forme invasive dans son aire d'introduction. On la rencontre ici le long de berges artificialisées de la rivière Kaname (Hiratsuka, Japon).  A droite : Une variété naine de montagne, Fallopia japonica var compacta, colonise ici les cendres volcaniques du Mont Fuji (Japon).

Renouee-du-Japon1.jpg Renouee-du-Japon2.jpg

 

Une origine extrême orientale

La Renouée du Japon est originaire des régions méridionales et océaniques d'Asie orientale. Elle a été introduite conjointement avec la Renouée de Sachaline (Fallopia sachalinensis) en Europe et aux Etats-Unis comme plante ornementale et mellifère. Les deux plantes se sont naturalisées dès la fin du XIXème siècle mais n'ont débuté leur colonisation exponentielle que vers le milieu du XXème siècle, après l'existence d'une période de latence (« lag phase » des auteurs anglais) bien documentée pour ces deux espèces.

Les deux espèces sont maintenant largement répandues. La Renouée du Japon semble toutefois bien plus fréquente que la Renouée de Sachaline et peut être considérée comme l'espèce invasive ayant actuellement la dynamique d'expansion la plus forte. En France, elle est présente dans tous les départements avec une forte densité dans ceux du Nord-Ouest, de l'Est, et du Sud-Ouest.

Expansion de la Renouée du Japon en France.

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Comment la Renouée du Japon est-elle arrivée en Europe ?
Au XIXème siècle, un certain Philip von SIEBOLT, médecin de la Compagnie hollandaise des Indes en poste au Japon, récolte des plantes locales particulièrement belles qu'il rapporte dans son jardin de Leyde aux Pays-Bas. Puis, il fonde une compagnie horticole spécialisée dans l'importation de plantes orientales. En 1848, son catalogue propose ainsi à la vente des renouées du Japon. Rapidement, la plante est plantée dans toute l'Europe et même aux Etats-Unis. On a attribué à la Renouée du Japon maintes vertus (élégance du port, floraison automnale, richesse en nectar) mais aujourd'hui elle est inscrite à la liste de l'Union internationale pour la Conservation de la Nature des 100 plantes les plus préoccupantes !

Les mécanismes du succès de la Renouée du Japon

Trois mécanismes principaux sont susceptibles d'expliquer le succès d'une espèce végétale exotique dans son aire d'introduction :

  • Tout d'abord, l'espèce peut bénéficier de la diminution du nombre d'herbivores dans son aire d'introduction. En effet, la mise en place de nouvelles interactions entre végétaux et herbivores nécessite un changement du régime alimentaire de ces derniers sur l'aire d'introduction, ce qui peut prendre du temps ;
  • L'espèce introduite peut également faire preuve d'une vigueur plus importante dans son aire d'introduction du fait de conditions abiotiques favorables ;
  • Les relations de compétition entre l'espèce introduite et les espèces autochtones peuvent tourner à l'avantage de l'espèce introduite alors que la dynamique de celle-ci était compétitivement régulée dans son aire d'origine.

Principaux phytophages collectés sur les populations japonaises de Renouée du Japon.
En haut, de gauche à droite : larve d'Allantus luctifer et adultes d'Anomala albopilosa albopilosa et d'Anomala cuprea.
En bas, de gauche à droite : adultes d'Atractomorpha lata, d'Aphididé et de Popillia japonica.

Allantus_luctifer_larve.jpg Anomala_albopilosa_albopilosa_imago.jpg Anomala_cuprea_imago.jpg
Atractomorpha_lata_imago.jpg Aphidides.jpg Popillia_japonica_adulte.jpg

 

Les travaux de Noëlie MAUREL, docteur du Muséum National d'Histoire Naturelle, sur la comparaison entre l'aire d'origine et l'aire d'introduction de la Renouée du Japon a porté sur 12 sites au Japon et 8 sites en France, localisés dans les aires urbaines des préfectures de Tokyo et de Kanagawa, et de la région parisienne, respectivement. Ces sites étaient de nature variable (friches urbaines, talus de voies ferrées, berges partiellement artificialisées), mais présentaient tous une végétation ouverte à dominante herbacée, mêlée d'arbres et d'arbustes, sur des sites foncièrement inutilisés, au moins temporairement. Les résultats de cette étude de terrain montrent que les populations invasives de Renouée du Japon rencontrent moins d'ennemis phytophages, subissent des taux bien moindres d'herbivorie, ont un développement végétatif beaucoup plus important (tiges plus hautes et plus ramifiées, surface foliaire plus importante) et dominent très nettement les espèces végétales concurrentes (impact négatif prononcé sur les communautés locales) sur leur aire d'introduction.

Les modalités de dispersion de la Renouée du Japon
En Europe, la Renouée est généralement stérile, la floraison automnale n'arrivant que rarement à produire des graines viables. Elle se dissémine essentiellement par reproduction asexuée à partir de fragments de rhizomes et de boutures de tiges. Cette dissémination est réalisée naturellement par l'eau érodant les berges et parfois par les animaux. L'homme porte également une grande responsabilité en déplaçant les terres "contaminées" par les renouées, à l'occasion de travaux de génie civil : construction de routes, réseaux d'assainissements, aménagement des berges des cours d'eau, d'espaces verts, etc.

Les impacts écologiques de la Renouée du Japon dans son aire d'introduction

Les travaux de Noëlie MAUREL ont permis de mesurer les conséquences de l'invasion par la Rénouée du Japon sur les assemblages floristiques et les propriétés du sol en milieu urbain. L'inventaire de la flore le long de transects a permis de mettre en évidence une diminution graduelle, mais très forte, à la fois de la richesse spécifique et du recouvrement total (Renouée du Japon exclue) à mesure que l'on pénètre dans un "patch" de Renouée du Japon. Ce patron peut être attribué à la capacité compétitive de cette espèce invasive : son taux de croissance important, sa production massive de biomasse, son efficacité à intercepter la lumière et à capter les ressources du sol, enfin son éventuelle production de substances allélopathiques, lui confèrent un avantage compétitif sur la plupart des espèces concurrentes et lui permettent de former des "patches" denses excluant la majorité de la flore.

Seul un petit ensemble d'espèces semble supporter la concurrence avec la Renouée du Japon : il s'agit de la Ronce commune (Rubus fruticosus), de l'Ortie dioïque (Urtica dioica) et du Gaillet gratteron (Galium aparine). Si bien que la flore présente au sein des "patches" n'est généralement qu'un échantillon de la flore présente en zone non envahie. L'étude a aussi révélé des effets sur les paramètres édaphiques mesurés, malgré la grande variabilité de ces paramètres d'un site à l'autre. Ainsi, l'horizon A est plus épais et le sol de surface plus sombre, ce qui indique que la Renouée du Japon induit des changements dans la dynamique de la matière organique. Ces changements sont susceptibles de perdurer et d'influencer les espèces capables de pousser sur ces sols.

Conclusions

Le succès de la Renouée du Japon dans son aire d'introduction repose sur une combinaison de mécanismes qui ont augmenté son pouvoir compétitif. Parmi ces mécanismes, citons la polyploïdisation à l'origine de plantes de plus grande taille et plus vigoureuses, des conditions de vie qui lui sont favorables (milieux anthropisés enrichis en éléments nutritifs) et une faible pression de sélection exercée par les herbivores. Ce succès pose également la question de la persistance de la Renouée du Japon dans le temps, dans la mesure où l'on peut penser que des phytophages pourront se réorienter vers cette nouvelle ressource de plus en plus abondante. En ce sens, il est fort probable qu'une nouvelle coévolution s'établisse entre la Renouée du Japon et de nouvelles espèces phytophages dans son aire d'introduction, ce qui devrait permettre à terme une régulation naturelle de la taille de ses populations.

Remerciements

Les auteurs remercient Masaaki FUJIYOSHI pour leur avoir fourni les photos d'insectes phytophages illustrant le présent article.

Pour en savoir plus

  • CLEMENT Gilles, Eloge des vagabondes, NIL, 2002.
  • BAILEY John, SCHNITZER Annick, La Renouée du Japon, La recherche n° 364, mai 2003.
  • MAUREL Noëlie, De L'introduction à l'invasion : les plantes exotiques en milieu urbain, Thèse de doctorat, 2010.
  • MULLER Serge (Coordinateur), Plantes invasives en France, Mus. Hist. Nat. Paris, 2004.

 

Régis Thomas, Noëlie Maurel, Jean-Pierre Moussus et David Busti, octobre 2011.

 


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