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L’importance écologique des araignées-crabes

Après avoir dévoilé quelques secrets de l'étonnante faculté de camouflage des Thomisidés, nous nous proposons d'observer les conséquences de ce type de prédation sur la relation entre les insectes pollinisateurs et les plantes à fleurs.
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Araignée-crabe (Xysticus sp) sur une feuille d’ortie dioïque (Urtica dioica).
Les Araignées-crabe exploitent une grande diversité de plantes à fleurs sur lesquelles elles se positionnent à l’affût d’éventuels pollinisateurs.

Xysticus cristatus araignee crabe 1

 

Araignée crabe (Misumena vatia) en train de consommer un moiré (Erebia sp.).
Une fois la proie capturée, ses liquides extracellulaires sont consommés pendant plusieurs heures par l’araignée qui ne laisse qu’un cadavre sec. On reconnaît les femelles de Misumena vatia à leur abdomen blanc ou jaune bien arrondi à l’extrémité postérieure.

Misumena vatia papillon

 

Araignée-crabe (Misumena vatia) en train de consommer un diptère au sommet d’un épi de chiendent.

Misumena vatia araignée crabe femelle

 

Mâle de Misumena vatia positionné à l’affût sur une renoncule.
On détermine aisément le sexe d’une araignée en regardant la forme des pédipalpes. Ceux des mâles sont terminés en massues qui leur servent à féconder la femelle une fois enduit de sperme. Les pédipalpes des femelles sont filiformes.

Misumena vatia male

 

Araignée-crabe (Xysticus cristatus) au sommet d’une inflorescence de Pissenlit (Taraxacum sp.).
On reconnaît le genre Xysticus aux larges bandes latérales foncées sur le prosoma (partie antérieure du corps) ainsi qu’aux dessins en bandes parallèles présents sur l’opisthosoma (partie postérieure de corps).

Xysticus cristatus araignee crabe 2

 

Dans l'image de la semaine précédente, nous avons exploré les étonnantes capacités de camouflage des araignées-crabes et décortiqué leur stratégie de chasse à l’affût, au sommet d’une fleur ou d’une inflorescence. Les thomises peuvent être considérées comme des prédateurs généralistes. En effet, elles s’attaquent à n’importe quel insecte s’approchant trop dangereusement de leur position. Dans les endroits où ces araignées sont abondantes, on peut se poser la question de l’importance écologique d’un tel mode de chasse. En d’autres termes, le fonctionnement des communautés où le nombre d’araignées-crabes est important diffère-t-il beaucoup de celui des communautés semblables dans lesquelles ces araignées sont absentes ? Les proies des araignées-crabes sont en effet des insectes pollinisateurs dont le rôle dans le fonctionnement des écosystèmes de type prairie (et bien d’autres !) est fondamental puisque l’on estime qu’environ 67 % des plantes à fleurs ont recours au service de pollinisation par les insectes.

En 2003, DUKAS et collaborateurs ont testé l’hypothèse de l’existence d’effets négatifs de la présence d’araignées-crabes (Misumena vatia) sur le nombre et la durée des visites d’insectes pollinisateurs sur les fleurs de quadrats de prairie. Ils prirent en considération 4 espèces de pollinisateurs : l’abeille domestique (Apis mellifera) et 3 espèces de bourdons dont une de petite taille (Bombus ternarius) et deux dont la taille plus importante les rend moins vulnérables à la prédation par les araignées-crabes. Les résultats ont été très clairs : dès le second jour de l’expérience, le nombre d’abeilles domestiques et de petits bourdons compté dans les quadrats où le prédateur était présent était significativement inférieur à celui de quadrats où les araignées-crabes étaient absentes.

Deux hypothèses non exclusives peuvent expliquer ce résultat : un effet direct de la prédation sur le nombre d’abeilles et de bourdons, ou bien, un effet comportemental par l’intermédiaire d’un apprentissage chez les insectes pollinisateurs. Il est toutefois peu probable que le premier mécanisme joue un rôle important dans la réduction du nombre de visites. La probabilité de succès des attaques des araignées-crabes est assez faible, oscillant autour de 20 %, et leur nombre ne suffirait certainement pas à réduire le nombre d’insectes pollinisateurs. D’autres expériences ont en revanche montré que les insectes pollinisateurs apprennent très vite à éviter les endroits riches en prédateurs. INGS et collaborateurs ont soumis des bourdons (Bombus terrestris) à une expérience étonnante : dans un premier temps, ces bourdons étaient entraînés à exploiter des fausses fleurs jaunes (pourvues en nectar). Dans un second temps, 25 % de ces fleurs portaient une fausse araignées avec un dispositif de capture permettant de retenir le bourdon pendant deux secondes puis de le relâcher, simulant ainsi une tentative de prédation par une thomise. Enfin, les bourdons ainsi entraînés pouvaient exploiter des fausses fleurs blanches ou jaunes librement dans un patch artificiel contenant des fausses araignées uniquement sur les fleurs jaunes. Les bourdons évitèrent statistiquement non seulement les fleurs portant une araignée mais d’une façon plus générale toutes les fleurs jaunes. Cette expérience montre qu’un risque élevé de prédation peut se traduire par des modifications importantes du comportement de recherche de nourriture par les pollinisateurs. Une étude récente de JONES et collaborateurs est même allé encore plus loin en montrant que face au risque de prédation par les araignées-crabes, les insectes pollinisateurs se détournaient des fleurs les plus nectarifères (où les araignées se positionnent de façon privilégiée !) au profit de plantes moins généreuses mais sur lesquelles s’installent moins de prédateurs.

Ces effets de la prédation sur le comportement des pollinisateurs perturbent-ils vraiment la relation interspécifique entre plantes et insectes ? En d’autres termes, les plantes choisies plus fréquemment par les araignées subissent-elles une diminution de leur valeur sélective ? Une étude au moins (SUTTLE et collaborateurs en 2003) le montre si bien que l’on peut dire que la prédation exercée par les araignées-crabes constituent un exemple de cascade trophique descendante.

Pour en savoir plus

  • DUKAS & MORSE (2003). Crab spiders affect flower visitation by bees. Oikos vol 101.
  • INGS & CHITTKA (2009). Predator crypsis enhances behaviourally mediated indirect effects on plants by altering bumblebee foraging preferences. Proceedings of the Royal Society B vol 276.
  • JONES & DORNHAUS (2011). Predation risk makes bees reject rewarding flowers and reduce foraging activity. Behavioral Ecology and Sociobiology vol 65.
  • SUTTLE (2003). Pollinators as mediators of top-down effects on plants. Ecology Letters vol 6.

 

Jean-Pierre Moussus, septembre 2012