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Le Macareux moine, un oiseau marin sensible aux perturbations humaines

Auteur et publication : David Busti

Couple de Macareux moines (Fratercula arctica) dans une pelouse littorale.
En période de reproduction, le Macareux moine se reconnaît immédiatement par son grand bec coloré de forme triangulaire et comprimé latéralement (lui donnant l'allure d'un « perroquet »), ses pattes jaune orangé et son plumage blanc sur le ventre et noir sur le dos. Il n'existe pas de caractère sexuel qui permette de distinguer aisément le mâle de la femelle. (Iles Shetland, Ecosse, avril 2011)

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 Couple de Macareux moines (Fratercula arctica) au bord d'une falaise.
De par l'insertion de ses pattes très en arrière du corps, le Macareux moine présente une posture dressée rappelant quelque peu celle de l'Homme. Sa marche est maladroite et déséquilibrée au point qu'il peut être projeté au sol lorsque le vent est fort ! (Iles Shetland, Ecosse, avril 2011)

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Colonie de macareux moines (Fratercula arctica) en train de nicher.
Le Macareux moine niche sur les pentes herbeuses des côtes rocheuses de l'Atlantique Nord, formant des colonies denses de taille plus ou moins importante. Sur les sites régulièrement visités par les touristes (comme c'est le cas ici), les populations sont peu craintives mais les oiseaux abandonnent rapidement leur nid en cas d'intrusion, ce qui le rend sensible aux perturbations. Au printemps, il creuse typiquement un terrier de 1 à 2 mètres de profondeur au fond duquel il construit son nid. Pour cela, il racle le sol avec ses griffes et il creuse plus en hauteur à l'aide de son puissant bec. Il peut aussi prendre possession d'un terrier déjà construit par un autre macareux ou par un lapin. (Vik, Islande, août 2007)

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Couple de Macareux moines (Fratercula arctica) sur son site de nidification.
A la date où la photo a été prise (avril), le couple est revenu sur son site de reproduction après une longue migration hivernale. Chaque printemps, le mâle retrouve la même femelle et s'apparie avec elle, ce qui augmente les chances de reproduction. A cette époque, le couple commence à creuser un terrier qui abritera un unique œuf. (Iles Shetland, Ecosse, avril 2011)

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Macareux moines (Fratercula arctica) perchés sur le bord d'une falaise.
A défaut de pouvoir creuser un terrier, les macareux moines peuvent construire un « nid » rudimentaire entre les rochers d'une falaise ou sous un surplomb rocheux. Les meilleurs sites de nidification (et les premiers construits) se situent au sommet des falaises rocheuses face à la mer, dans la mesure où ils sont difficilement accessibles aux prédateurs et suffisamment proches d'une zone où l'oiseau peut se poser, de façon à limiter les chances de poursuite par un goéland lorsqu'ils reviennent au nid le bec rempli de poissons pour nourrir leur petit. (Vik, Islande, août 2007)

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Macareux moine (Fratercula arctica) ramenant des brindilles d'herbes dans son terrier.
Les macareux moines construisent leur nid au printemps à l'aide de brindilles d'herbes qu'ils récoltent avec leur bec dans une pelouse avoisinante. (Iles Shetland, Ecosse, avril 2011)

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Combat de macareux moines (Fratercula arctica) sur un site de reproduction.
Les macareux moines se battent fréquemment, parfois jusqu'au sang, pour protéger leur site de nidification. (Iles Shetland, Ecosse, avril 2011)

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Macareux moine (Fratercula arctica), bec grand ouvert.
Le Macareux moine se nourrit essentiellement de poissons qu'il capture lors des plongées. En période de reproduction, il ramène à son oisillon une multitude d'alevins coincés entre la mâchoire supérieure de son bec (légèrement crochue) et sa langue spinuleuse. (Iles Shetland, Ecosse, avril 2011)

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Macareux moine (Fratercula arctica) en vol.
Le Macareux moine est un oiseau marin plongeur, dont les ailes courtes et puissantes sont particulièrement adaptées à la nage sous-marine mais qui offrent en contrepartie peu de portance dans l'air, ce qui fait du Macareux moine un piètre voilier. Lorsqu'il vole à la surface de l'eau à la recherche de nourriture, il est obligé de battre des ailes au rythme de 400 battements par minute pour se maintenir ! (Iles Shetland, Ecosse, avril 2011)

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De par sa beauté, son apparence exotique et son comportement « humain » (parfois affectueux, d'autres fois querelleur ou bagarreur) souvent jugé « comique » (à cause de sa démarche maladroite), le Macareux moine est certainement l'oiseau de mer qui attire de nos jours le plus l'attention de l'être humain. C'est un représentant de la famille des Alcidés, une famille d'oiseaux marins plongeurs regroupant les pingouins, les guillemots et les macareux, considérés comme les analogues boréaux des manchots de l'Hémisphère Sud dans la mesure où les deux groupes présentent des ailes convergentes spécialisées dans la nage sous-marine. Le Macareux moine ne peut s'observer aisément qu'en période de reproduction (printemps et début de l'été) où il forme des colonies très compactes sur les côtes rocheuses et les îles du Nord de l'Atlantique (environ 6 millions de couples en tout), notamment en Islande (50% de la population totale), les côtes norvégiennes (20%), la Grande-Bretagne (11%), les îles Féroé (8%), le Canada (6%) et l'Irlande (1%). A cette période, les individus mâles comme femelles se reconnaissent immédiatement par leur gros bec coloré comprimé latéralement (ce caractère a valu au Macareux moine son surnom de « perroquet de mer »), leur pattes palmées jaune orangé et leur plumage noir et blanc, évoquant la robe d'un moine (d'où son nom français de Macareux moine, et son nom scientifique de Fratercula artica qui signifie littéralement « petit-frère [moine] de l'Arctique »). A l'inverse, lors de la migration hivernale, les macareux moines quittent leurs colonies estivales de nidification pour mener une vie solitaire en pleine mer. L'aire de distribution s'étend alors plus au Sud, quelques rares individus pouvant atteindre l'Ouest de la Méditerranée et les Açores. Durant cette période, l'oiseau a changé de plumage et son bec, qui a perdu ses plaques ornementales de couleur, s'en trouve réduit.

Alimentation et reproduction du Macareux moine
Le Macareux moine est piscivore : il se nourrit essentiellement de poissons vivant dans les eaux froides (lançons et colins notamment) qu'il capture et avale directement lors de plongées en apnée, jusqu'à plusieurs dizaines de mètres de profondeur ! Ses ailes réduites, ses pattes palmées et insérées à l'arrière du corps en font un excellent nageur, mais inversement aussi un marcheur maladroit et un très mauvais voilier. En période hivernale, la nourriture se faisant plus rare, il peut devenir partiellement planctonophage en complétant son régime alimentaire par de petits crustacés (copépodes) contenu dans le plancton. En période de reproduction, il coince ses proies transversalement dans son bec spécialisé (entre sa langue spinuleuse et la mâchoire supérieure) et les transporte jusqu'au terrier. Les parents nourrissent ainsi leur unique oisillon pendant environ 40 jours, moyennant un coût énergétique non négligeable du fait des allers-venues continuels entre la mer et le terrier. La reproduction lente du Macareux moine est néanmoins compensée par le fait qu'il vit longtemps (l'oiseau possède une espérance de vie de 25 ans). Chaque année, en période de reproduction, les macareux mâles s'apparient avec les mêmes femelles. Les parents construisent des nids sommaires à partir de brindilles d'herbes récoltées dans des zones herbeuses, à l'extrémité de profonds terriers creusés à l'aide de leur pattes et de leur bec. L'œuf unique est couvé par les deux parents pendant une quarantaine de jour, souvent sur des périodes de plus de 30 heures. Après éclosion, le jeune oiseau est nourri pendant 6 semaines par les parents (lesquels ne se nourrissent presque plus) puis prend son premier envol de nuit avec les autres oisillons de la colonie. Cet envol spectaculaire est provoqué par une période de jeune d'une semaine pendant laquelle les adultes perdent provisoirement leurs rémiges et changent de plumage. Durant cette période critique, les jeunes qui ne sont pas nourris et défendus de leur prédateurs, sont particulièrement vulnérables.

 

Bien que l'espèce dans son ensemble n'a jamais été vraiment menacée, les fortes concentrations d'individus pendant la période de reproduction rendent les oiseaux particulièrement sensibles aux perturbations humaines, lesquelles peuvent avoir des effets directs ou indirects sur les populations. Ainsi, la population totale de macareux moines avait régressé de manière substantielle du XVIIIème au début du XXème siècle, parce qu'ils étaient chassés pour leurs œufs ou leur chair, et du fait de l'introduction de prédateurs (rats, chats sauvages, chiens) et d'animaux compétiteurs herbivores (chèvres, moutons, lapins). Depuis le début des années 1960, les pêches excessives ont conduit au déclin de certaines populations de macareux moines, par exemple à Røst (Norvège) où une baisse de 64% de la population de macareux a été enregistrée entre 1979 et 1988. Par ailleurs, la fréquentation importante des terres de nidification contribue, avec l'installation d'animaux herbivores, à la baisse du succès de reproduction de l'espèce. Les études menées par S. RODWAY & al. (1996) au Canada ont permis de démontrer expérimentalement que les macareux moines ont tendance à abandonner facilement leurs œufs en cas de visite régulière de leur terrier par un intrus et que cet abandon est d'autant plus fréquent que les oiseaux sont mal nourris. L'apparition de décharges à ciel ouvert a également favorisé la prolifération de Goélands, des oiseaux qui volent souvent le repas des macareux lorsqu'ils reviennent d'une pêche le bec chargé de poissons. Enfin, le poussin est particulièrement vulnérable au phénomène de pollution lumineuse : lors du premier envol qui s'effectue de nuit, l'oisillon est attiré par les lumières avoisinantes, l'empêchant de gagner la mer au moment où les parents ne peuvent pas le nourrir. Les méthodes de conservation envisagées de nos jours consistent à protéger les sites de nidification en contrôlant leur accès aux touristes et à réduire ou contrôler les effectifs de prédateurs. En France, la Ligue pour la Protection des Oiseaux, qui a pour emblème le Macareux moine, a été fondée aux débuts des années 1900 pour sauver la population de macareux des Sept-îles du braconnage, notamment en créant une réserve qui porte son nom.

Si les traits d'histoire de vie du Macareux moine en période de reproduction sont bien connus, il n'en va pas de même des mouvements migratoires et des exigences écologiques de l'espèce lors de la période d'hivernage. Or, c'est pendant cette période que le taux de mortalité des oiseaux est le plus important, à cause du manque fréquent de nourriture et des conditions de vie parfois extrêmes. De plus, ces conditions de vie difficiles les rendent plus sensibles aux perturbations humaines, comme en témoigne la très grande vulnérabilité des macareux moines aux marées noires (le pétrole intoxique les oiseaux après ingestion et détruit l'imperméabilité de leur plumage). Très récemment, la géolocalisation par télémétrie a permis de suivre les mouvements de populations norvégiennes (T. ANKER-NILSSEN et al., 2009) et britanniques (M. P. HARRIS & al., 2009) de macareux moines en période d'hivernage. L'étude menée par M. P. HARRIS & collaborateurs a déjà donné des résultats intéressants dans la mesure où elle montre pour une population de macareux moines de l'île de May (une île située l'Est de l'Ecosse) un changement récent de l'aire d'hivernage de la mer du Nord vers l'Océan Atlantique, associé à une hausse de la mortalité des adultes. Les auteurs proposent (mais cela reste à démontrer) que ce changement de distribution pourrait être du à un réchauffement récent des eaux de la mer du Nord (constaté depuis la fin des années 1990), lequel aurait repoussé vers le Nord les proies naturelles des macareux. En particulier, il a été observé en mer du Nord une disparition de la communauté du copépode Calanus qui sert de nourriture au lançon Ammodytes marinus, une proie majeure du Macareux moine. Cette perturbation aurait conduit par effet bottom-up au déclin des populations de macareux moines en mer du Nord.

Remerciements

L'auteur remercie tout particulièrement Jean-Michel Bru pour la plupart des photos illlustrant cet article. Jean-Michel Bru est photographe animalier amateur (pour tout contact : jm.bru69@gmail.com).

Pour en savoir plus

  • ANKER-NILSSEN T. & coll. (2009). Satellite telemetry reveals post-breeding movements of Atlantic puffins Fratercula arctica from Røst, North Norway, Polar Biology, 32: 1657-1664. Article téléchargeable en ligne ici.
  • BATEMAN G. et coll., Les oiseaux des mers et des rivières, France Loisirs, 1987.
  • DEL HOYO J. & coll., Handbook of the birds of the World, Lynx Edicions, 1996.
  • HARRIS M. P. & coll. (2009). Wintering areas of adult Atlantic puffins Fratercula arctica from a North Sea colony as revealed by geolocation technology, Marine Biology, 157, n°4: 827-83. Article téléchargeable en ligne ici.
  • RODWAY M. S. et coll. (1996). Effects of investigator disturbance on breeding success of Atlantic puffins, Biological Conservation, 76: 311-319.
  • SVENSON L. et coll., Le guide ornitho, Delachaux et niestlé, 2009.

 

David Busti, mars 2012.